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Voltaire nu.

Voltaire nu.

Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web

Date de création : 1776

Date représentée :

H. : 150 cm

L. : 89 cm

marbre. Profondeur : 77 cmm - Poids : 735 kg.

Domaine : Sculptures

© Photo RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

 ENT 1962 1 - 01-018457

Voltaire nu ou le Vieillard Idéal

Date de publication : Avril 2013

Auteur : Saskia HANSELAAR

François Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778) est le philosophe des Lumières par excellence. Son succès littéraire public débute grâce aux pièces de théâtre qu’il écrit dès 1718. La Henriade, créée en 1723 et inspirée des grandes tragédies épiques, assoit sa position en tant qu’auteur national. Sa connaissance des pratiques sociales et économiques anglaises acquise lors de son exil en Grande-Bretagne donne naissance aux Lettres philosophiques et il affirme une identité de penseur qu’il conservera durant toute sa longue carrière.

Les représentations variées de ce philosophe, écrivain, historien et poète honoré de son vivant (on se rend à Ferney, en Suisse, pour voir le maître) montrent à la fois la fascination qu’il exerce et la volonté de fixer pour l’Immortalité les traits du Grand Homme. À l’origine de la création d’une statue en pied (d’autres portraits de l’artiste avaient été réalisés en buste par Houdon) se trouvent dix-sept intellectuels des Lumières dont Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert ; en 1770, une souscription est lancée. De nombreuses personnalités tel Frédéric II de Prusse, en qui Voltaire vit un temps l’incarnation du monarque éclairé, y participent. La République des Lettres recourt à la statuaire publique pour montrer que le philosophe a sa place parmi les plus grands génies de l’Histoire ; ce privilège, alors exclusivement réservé aux rois et héros de guerre, sublime le Génie. En effet, les plus grands philosophes antiques ont été immortalisés par le biais de la sculpture ; créer une statue en pied de Voltaire inscrit le penseur et, par la même occasion la France, parmi les héritiers de la culture antique, alors idéal à atteindre.

En 1770, Jean-Baptiste Pigalle, l’un des artistes les plus brillants de sa génération, reçoit la commande pour cette statue. Sur le socle se lit l’inscription voulue par les commanditaires : « Monsieur de Voltaire, par les gens de lettres, ses compatriotes, et ses contemporains. 1776. »

Dès le départ, son idée est de représenter le grand homme à l’antique ; il est soutenu et même encouragé dans ce projet par Denis Diderot, qui fait référence à une statue de l’Antiquité représentant un vieil homme nu en qui l’époque reconnaît Sénèque s’ouvrant les veines dans son bain (Vieux pêcheur, dit Sénèque mourant, IIe siècle apr. J.-C., marbre noir, yeux émaillés et ceinture d’albâtre, 121 cm sans la vasque, Paris, musée du Louvre).

Admirablement ressemblante, la tête a été esquissée par le sculpteur en présence du septuagénaire à Ferney ; toutefois, le corps a été exécuté dans son atelier parisien d’après un modèle. Pigalle opte pour un choix radical, en obtenant l’autorisation du philosophe de le représenter à la manière de l’antique sans recourir au nu héroïque, c’est-à-dire sans idéalisation du corps. Voltaire est donc nu assis sur un tronc d’arbre, dont les racines forment une partie du socle. Un simple drapé, négligemment posé sur son bras gauche, découvre le corps naturellement amaigri et décharné d’un vieil homme. Pourtant, la pose donnée le montre dans une attitude méditative et volontaire, pleine de noblesse, alors qu’il tient d’une main un rouleau et de l’autre une plume, outils nécessaires à son art. D’autres attributs littéraires sont reconnaissables à ses pieds : le masque de Thalie, la Comédie, ainsi que le poignard de Melpomène, la Tragédie. Des livres, des rouleaux, une couronne de lauriers ainsi qu’une lyre (sur laquelle signe Pigalle) sont autant de symboles du philosophe, de l’historien, de l’écrivain et du poète.

Alors que le retour à l’antique et les écrits de Johan Joachim Winckelmann (1) mettent en avant le Beau idéal, c’est-à-dire l’idéalisation des figures, inspiré de l’Antiquité, qui incarnent les plus grandes qualités humaines, la statue de Pigalle propose un contraste entre l’homme des Lumières et la représentation d’un vieillard au corps décrépit. Visible dans l’atelier de l’artiste en 1770, l’esquisse en plâtre fait aussitôt scandale. Bien que l’unanimité se fasse autour de la tête, jugée « sublime », la question du costume ou plutôt de son absence est évoquée, d’autant plus que Pigalle maintient et défend sa représentation naturaliste. Malgré l’approbation de Voltaire et son respect pour la liberté créatrice du sculpteur, des souscripteurs comme Mme Necker ou encore Eugène Suard ne comprennent pas le choix de l’artiste et l’accusent de préférer une pièce d’anatomie (les critiques emploient même le terme de « squelette ») plutôt qu’une belle œuvre. Bien que Pigalle cherche sans doute avec raison à démontrer sa virtuosité dans la représentation anatomiquement vraie du corps d’un vieillard, il réalise un tour de force dans cette opposition entre le visage, possédant encore la vitalité et la vivacité de ce bel esprit, et la déchéance du corps. Cela confirme la volonté première du sculpteur et des souscripteurs de rendre hommage au Génie par-dessus tout. Le corps n’est qu’une enveloppe de chair et de sang, alors que les idées de Voltaire resteront à jamais gravées dans la mémoire des hommes.
L’œuvre est finalement offerte à Voltaire et ne devient pas un monument public. Un temps dans la famille du philosophe, elle est donnée au XIXe siècle à l’Institut de France, qui la dépose ensuite au musée du Louvre à la fin du XXe siècle. En 1781, une seconde commande est passée par Mme Denis, nièce de Voltaire, à Jean Antoine Houdon afin de réaliser une nouvelle image immortelle de Voltaire (Voltaire assis, 1781, marbre, 140 x 106 x 80 cm, Comédie-Française). La sculpture obtient un succès dithyrambique ; Voltaire « est assis dans un fauteuil antique, drapé du manteau de filoshophe [sic] et la tête seinte [sic] du ruban de l’immortalité », cachant toute dégradation physique de l’auteur de La Henriade.

· Hugh HONOUR, Le Néo-classicisme, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Librairie générale française, 1998, p. 142-145 (éd. anglaise, 1968).

· Anne L. POULET (dir.), Houdon 1741-1828, sculpteur des Lumières, catalogue de l’exposition du musée national du château de Versailles, 1er mars-31 mai 2004, Paris, R.M.N., 2004.

· Guilhem SCHERF, Voltaire nu, Paris, Somogy, coll. « Solo », 2010.

· Saskia HANSELAAR, « Types du vieillard dans l’art autour de 1800 » in Les Âges de la Vie de l’aube de la Renaissance au crépuscule des Lumières, collectif sous la dir. de Pauline Decarne et Damien Fortin, publié en ligne en décembre 2011 sur le site du CELLF 17e-18e, UMR 8599 du C.N.R.S. et de l’Université de Paris-Sorbonne, p. 115-131 :http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/documents/texte_32.pdf.

 

1 - Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) : théoricien de l'histoire de l'art, il a une importance capitale au XVIIIe siècle sur l'écolution des arts vers le néoclassicisme. Il diffuse sa connaissance l'art grec à travers un ouvrage L’Histoire de l’art de l’antiquité dans lequel il fait l'éloge de la beauté des œuvres antiques et convainc les artistes de son époque de revenir à la source de l'art grec.

Saskia HANSELAAR, « Voltaire nu ou le Vieillard Idéal », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/voltaire-nu-vieillard-ideal

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