Aller au contenu principal
Grève du Creusot (Le Monde illustré no 2219, 7 octobre 1899).

Grève du Creusot (Le Monde illustré no 2219, 7 octobre 1899).

Le Creusot, grèves de 1899-1900 : défilé des grévistes en juin 1899.

Le Creusot, grèves de 1899-1900 : défilé des grévistes en juin 1899.

Grève du Creusot (Le Monde illustré no 2219, 7 octobre 1899).

Grève du Creusot (Le Monde illustré no 2219, 7 octobre 1899).

Date de création : 1899

Date représentée : 1899

Gravure d'après photographie

Domaine : Estampes-Gravures

© Ecomusée de la Communauté Urbaine Le Creusot Montceau-Les-Mines - Cliché Daniel Busseuil

Grève au Creusot, 1899

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Danielle TARTAKOWSKY

La grève

En 1899, les usines Schneider du Creusot, spécialisées dans la production d’acier Bessemer, constituent la première concentration industrielle du pays. Le paternalisme à l’œuvre vaut à la ville-usine de s’être imposée comme un espace de paix sociale que rien n’est venu troubler depuis 1871. Trois grèves se succèdent pourtant de mai 1899 à juillet 1900, sous l’effet conjoint d’une accélération des cadences et de l’accession d’Eugène II Schneider à la direction de l’entreprise. Dans un contexte politique rendu favorable par les visées sociales de Waldeck-Rousseau, les ouvriers revendiquent de pouvoir se syndiquer. Ils cessent le travail en mai et constituent leur syndicat. Le 2 juin, Eugène Schneider paraît céder à leurs revendications. Le travail reprend. Comme les promesses ayant conduit à la reprise n’ont pas été tenues, la grève reprend le 20 septembre pour « la reconnaissance du syndicat, la liberté de conscience et la suppression de la police occulte ». Une sentence arbitrale signée le 7 octobre 1899 donne gain de cause aux grévistes qui défilent victorieusement dans les rues du Creusot.

Photographies de lutte

Le premier document est une photographie sans doute prise au terme du conflit de juin. Le second est un dessin du Monde illustré, réalisé, pour des raisons techniques et comme alors d’usage, à partir d’une photographie datée d’octobre, quand s’achève la seconde grève. Ces deux images représentent des cortèges déployés dans les rues du Creusot. Avec, sur la première, un bon aperçu de l’usine, dominant le paysage. Ces cortèges qui rythment les longues grèves et saluent, parfois, la victoire des ouvriers – c’est le cas ici – sont notamment destinés à souder le groupe tout en extériorisant son action. Vieux comme la grève, ils sont tenus pour « traditionnels » par les pouvoirs publics, et la plupart du temps tolérés, ce qui permet de les organiser.

Les documents donnent à voir des manifestants qui défilent au pas et en bon ordre dans les rues de la ville. Leurs cortèges empruntent au modèle de la procession (sans être absolue, la partition des sexes est importante) et à celui des défilés civiques. Les grévistes sont précédés d’imposants drapeaux tricolores, des tambours et des clairons que l’on peut voir notamment le 14-Juillet ou dans les défilés de conscrits. Le premier cliché laisse voir un drapeau échappant à la règle sans qu’il puisse être identifié (bannière syndicale, drapeau de conscrits ?). En juin, seuls les hommes sont visibles. En octobre, la gravure inspirée d’une photographie souligne la place des femmes, présentes en tête du cortège comme elles le furent dans le conflit. Les manifestants des deux sexes ont revêtu des tenues de fête : chapeau, cravate, robes soignées. Les jeunes femmes, promues porte-drapeau, sont toutefois « en cheveux », une mise populaire. Pas de spectateurs ou presque dès lors que la ville, presque unanime, défile tandis que les adversaires ont préféré s’abstraire de l’espace investi. Des enfants gambadent en tête, dans une atmosphère que les documents suggèrent festive.

Difficile construction d’une identité de classe et croissante émancipation

Rien ne permet d’identifier ces cortèges populaire comme étant l’appendice de grèves sinon la légende. La faiblesse des marquages de classe et les nécessaires emprunts à la symbolique républicaine tient d’abord à l’attitude des grévistes qui ne se rebellent pas contre la République et exigent au contraire la pleine application de la loi de 1884, laquelle reconnaît à tous les travailleurs du privé le droit de se syndiquer. Leur allure n’a cependant rien d’exceptionnel. En ces temps d’émergence de la manifestation de type moderne, les marquages identitaires peinent à naître : L’Internationale ne s’affirme dans les manifestations qu’à partir de 1898. Arboré dans certaines grèves ou, dès 1890, dans quelques cortèges de 1er-Mai, le drapeau rouge demeure victorieusement concurrencé par le drapeau tricolore, brandi par exemple à Fourmies le 1er mai 1890. En obligeant à recourir à des symboles pour représenter la « classe ». C’est la démarche du peintre Jules Adler, qui recompose et réinterprète les divers éléments de ces photographies pour construire un tableau qui s’impose comme emblématique de LA grève.

Ces grèves n’en constituent pas moins de puissants facteurs d’émancipation et peut-être de politisation. Le cliché de juin 1899 ne laisse apparaître que des hommes en tête du cortège (et peut-être au-delà). Dans la scène photographiée en octobre, les femmes osent ouvrir la marche avec l’aval des hommes, offrant un spectacle qui a retenu alors l’attention de la presse, des photographes, des dessinateurs et des peintres. Cette mutation s’opère à la faveur de la grève dans laquelle les femmes se sont impliquées.

Michelle PERROT Les Ouvriers en grève Paris -La Haye, Mouton, 1973.Les Schneider, Le Creusot, une famille, une entreprise, une ville (1856-1960) Fayard-RMN, 1995.Cartes postales de grève, collection Henri Bossi Musée d'histoire vivante de Montreuil; 1985.Madeleine Rebérioux « La carte postale de grève : propos sur une collection et une exposition », Le Mouvement social avril-juin 1985, n° 131, p.131-144.Jacques Nizet, Grèves, manifestations ouvrières, 1er Mai en France de 1900 à 1920 Bagneux, Comité d'établissement SCF-SDC, 1990.

Danielle TARTAKOWSKY, « Grève au Creusot, 1899 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/greve-creusot-1899

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Perfide Albion

Perfide Albion

Le Royaume-Uni attaque la France

Les ports coloniaux de Dakar et Mers-el-Kébir ont accédé brutalement à la notoriété en 1940 quand deux…

Perfide Albion
Perfide Albion
Perfide Albion
Retours & refoulés

Retours & refoulés

Liberté conditionnelle

La libération progressive de l’Europe à la fois à l’Ouest et à l’Est s’accompagne d’un intense mouvement de population où…

Retours & refoulés
Retours & refoulés
Les Jeux olympiques de Paris, 1924

Les Jeux olympiques de Paris, 1924

Paris, ville olympique

Au moment où s’affirme en Europe le triomphe des États nations, le baron Pierre de Coubertin ressuscite la tradition…

Rouget de Lisle composant la Marseillaise

Rouget de Lisle composant la Marseillaise

Le 20 avril 1792, la France en révolution entre en guerre contre l’Europe des monarques coalisés. Quelques jours plus tard, le maire de Strasbourg…

"Le tour du monde en un jour", une exposition coloniale

"Le tour du monde en un jour", une exposition coloniale

La constitution de l’empire colonial français

Depuis les années 1890, la constitution de l’empire colonial français ne rencontre plus de…

Le mémorial du siège de Paris

Le mémorial du siège de Paris

Le siège de Paris

Décrété le 19 septembre 1870, le siège dure jusqu’à l’armistice du 28 janvier 1871. Le commandement allemand s’est installé à…

<em>La Liberté guidant le peuple</em> d’Eugène Delacroix

La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix

Charles X et son impopulaire ministre, le prince de Polignac, remettent en cause les acquis de la Révolution. L’opposition libérale, par le biais…

Charlemagne

Charlemagne

La renaissance carolingienne

Quand, en 768, Charles le Grand reprend la couronne de son père de Pépin le Bref, il confirme le passage des…

Charlemagne
Charlemagne
Grève au Creusot, 1899

Grève au Creusot, 1899

La grève

En 1899, les usines Schneider du Creusot, spécialisées dans la production d’acier Bessemer, constituent la première concentration…

Grève au Creusot, 1899
Grève au Creusot, 1899
La II<sup>e</sup> République abolit l’esclavage

La IIe République abolit l’esclavage

1848, l’abolition de l’esclavage

Affirmant l’égalité entre les hommes et leur droit naturel à la liberté, les philosophes du XVIIIe