Aller au contenu principal
La Rentrée des ouvrières

La Rentrée des ouvrières

La Dentellière

La Dentellière

La Couseuse

La Couseuse

La Repasseuse

La Repasseuse

La Rentrée des ouvrières

La Rentrée des ouvrières

Date de création : 1905

Date représentée : 1905

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© Saint-Denis, musée d'art et d'histoire - Cliché I. Andréani

Femmes au travail

Date de publication : Juillet 2007

Auteur : Myriam TSIKOUNAS

Dès qu’il arrive à Paris, en 1881, Steinlen, Vaudois de naissance, se rapproche des milieux ouvriers anarchistes dont il accepte d’illustrer régulièrement les revues et journaux (La Voix du Peuple, Le Chat noir, Le Chambard socialiste, La Feuille,L’Assiette au beurre…). Il s’intéresse donc tout naturellement au monde du travail et spécialement au labeur des femmes, objet de débats acharnés, en France, durant la seconde moitié du XIXe siècle.

La Rentrée des ouvrières est l’œuvre d’un dessinateur-illustrateur talentueux plus que d’un peintre habitué aux paysages. Dans ce tableau inachevé et de petites dimensions, Steinlen étale copieusement les couleurs, comme Toulouse-Lautrec, Vuillard et Daumier qu’il côtoie alors. Très sensible à l’atmosphère industrielle des rues populaires de la capitale, il recourt aux teintes ternes ou sombres pour exprimer la pollution de l’air. Les fumées brouillent et salissent le ciel ; les rayons du soleil, beige clair, ont du mal à percer les nuages violines. Sur ce décor voilé, des femmes « en cheveux », dont seules les blouses blanches ou rouges tranchent sur la morosité ambiante, affichent leur condition d’ouvrières par leur vêtement comme par leur gestuelle. La présence d’un chien errant, au centre de la composition, rappelle que l’artiste fut aussi graveur et sculpteur animalier.

Steinlen a débuté comme créateur de tissus, d’abord à Mulhouse – ville devenue allemande – où il entre en 1879 comme créateur de motifs chez Schonaupt, fabricant de cretonne imprimée et d’indienne, ensuite il trouve un emploi analogue à Paris chez l’industriel Demange. Il a eu tout loisir d’observer les ouvrières entrant et sortant de la fabrique. En 1905, les femmes sont massivement employées dans la grande manufacture car, la machine s’étant généralisée, l’adresse et la dextérité priment désormais la force. Mais, à travail égal, elles perçoivent, en moyenne, un salaire inférieur de moitié à celui des hommes.
Longtemps jugé indigne dans la peinture française, le thème du travail a donc fini par faire son entrée au Salon dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais la représentation picturale de l’ouvrière a peu à voir avec les pratiques : les peintres montrent essentiellement les métiers d’appoint, traditionnels, préconisés depuis la monarchie de Juillet par les hygiénistes et les enquêteurs sociaux qui dénoncent l’atelier comme un lieu de harcèlement sexuel et de mauvaises fréquentations. Dans leurs toiles, les femmes travaillent généralement à domicile ; elles apparaissent paisibles, solitaires et intemporelles. Elles sont jeunes mais leurs enfants, s’ils existent, sont maintenus hors champ. La Dentellière d’Edmond Tapissier ne quitte pas sa ferme, vraisemblablement pour pouvoir nourrir les poules qui picorent dans la cour, au fond du champ. La Couseuse de Millet reste elle aussi chez elle pour ravauder les vêtements. Si La Repasseuse de Degas, contrairement aux deux précédents modèles, travaille debout, dans une boutique, elle est également esseulée. En outre, son corps bien droit, son tablier d’un bleu céleste et son visage lisse expriment la sérénité.
Ces images convenues n’existent pas chez Steinlen. Faisant sienne l’idée saint-simonienne de mettre crayons et pinceaux au service des humbles, l’artiste parcourt les rues de la capitale pour dénoncer la misère et les violences faites aux femmes. Au premier plan, sur la gauche, figure une blanchisseuse, silhouette cassée et bouche tordue de douleur, épuisée par un seau pesant et par l’énorme baluchon de linge qu’elle tient contre sa hanche. Au second plan, une mère avec son bébé dans les bras rappelle que rien n’est fait pour celles qui travaillent, que les crèches, à peine créées, sont trop peu nombreuses, que l’ouvrière doit donc se résoudre à confier son nouveau-né à une soigneuse souvent négligente ou l’emporter partout avec elle, lui administrant parfois de la thériaque ou une autre drogue pour le faire dormir.
Les ouvrières sont exténuées mais certaines marchent par deux pour dire l’amitié professionnelle qui les lie et que redoutent tant les élites misogynes. À l’heure de « la rentrée », elles envahissent l’espace public. Formant déjà une foule compacte, elles ne tarderont pas à être associées aux luttes.

Catalogue de l’exposition Théophile Alexandre Steinlen, 1859-1923 Paris-Genève, Petit Palais-Musée d’Art moderne, 1983.

Catalogue de l’exposition Exigences de réalisme dans la peinture française entre 1830 et 1870 Chartres, Musée des Beaux-Arts, 1983.

Catalogue de l’exposition Représentation du travail : mines, forges, usinesLe Creusot, CRACAP, 1977.

Catalogue de l’exposition Images du travail Paris, RMN, 1985.

Catalogue de l’exposition Le Bel Héritage : Steinlen Montreuil, Musée d’Histoire vivante de, 1987.

Catalogue de l’exposition Steinlen, peintures et dessins Saint-Denis, Musée d’Art et d’Histoire, 1973.

Portraits de femmes : la femme dans la peinture du XIXe siècle Carcassonne, Musée des Beaux-Arts, 2001.

Francis JOURDAIN Un grand imagier : Alexandre Steinlen Paris, Éd.du Cercle d’Art, 1954.

Maurice PIANZOLA Théophile Alexandre Steinlen Lausanne, Éd.Rencontre, 1971.

Myriam TSIKOUNAS, « Femmes au travail », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/femmes-travail

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Thomas Couture et la décadence

Thomas Couture et la décadence

L’allégorie, une grande tradition picturale

Formé dans l’atelier d’Antoine Gros et de Paul Delaroche, Thomas Couture se révèle rapidement un…

La Belle Otero, emblème de la Belle Époque

La Belle Otero, emblème de la Belle Époque

Le soleil d’Espagne dans les théâtres parisiens

La fièvre de l’exotisme parcourt l’Europe pendant tout le XIXe siècle, influençant la littérature…

La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
Les suffragettes

Les suffragettes

Les Françaises veulent voter

L’Union française pour le suffrage des femmes, créée en 1909 par Jeanne Schmahl avec l’appui du journal La Française…

Catherine de Médicis

Catherine de Médicis

Catherine de Médicis, l’histoire et sa légende

Catherine de Médicis occupe dans l’histoire de France une place à la fois singulière et stéréotypée…

Catherine de Médicis
Catherine de Médicis
Les « Années folles »

Les « Années folles »

Montmartre, cœur des années folles

Deux places mythiques de la nuit parisienne ponctuent le boulevard de Clichy, qui sert de déambulatoire à la…

Les « Années folles »
Les « Années folles »
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme

Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme

Une icône de beauté angélique

À la Belle Époque, sous l’influence du décadentisme et du symbolisme, hédonisme et spiritualité se côtoient :…

Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Le vélo sous toutes ses formes

Le vélo sous toutes ses formes

Le vélo à la « Belle Époque »

Dans un premier temps réservée à la bourgeoisie, la pratique du « vélocipède » s’est largement répandue à partir…

Le vélo sous toutes ses formes
Le vélo sous toutes ses formes
Le vélo sous toutes ses formes
Le vélo sous toutes ses formes
L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle

L’amour maternel au XIXe siècle

L’historien Philippe Ariès a décrit le processus par lequel, au XVIIIe siècle, l’enfant devient un être digne d’intérêt, avec des…

L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
Le premier vote des femmes en France.

Le premier vote des femmes en France.

La femme française peut voter

À l’approche de la Libération, la question du vote des femmes n’apparaît pas comme une priorité absolue. Ainsi, elle…

Le premier vote des femmes en France.
Le premier vote des femmes en France.
Le premier vote des femmes en France.
La courtisane, un monstre ?

La courtisane, un monstre ?

Un regard trouble entre misogynie et fascination

Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle…