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Cimetière du ravin de l'index, Main de Massiges

Cimetière du ravin de l'index, Main de Massiges

Auteur : ANONYME

Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web

Date de création : 1917

Date représentée : 1917

H. : 8,2 cm

L. : 11,1 cm

Epreuve au gélatino-bromure d'argent sur papier

Domaine : Photographies

© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN - Grand Palais / Pascal Segrette

http://www.photo.rmn.fr

"06-510751 /    27314.1"

La Mort de masse

Date de publication : Avril 2007

Auteur : Bernard COLOMB

Le champ de bataille de l’Argonne

À l’entrée en guerre, dans les premiers jours d’août 1914, la population fait bloc autour du régime républicain. Il y a, chez les masses françaises, l’intime conviction d’être du côté de la liberté et du droit. Elles ont aussi la certitude, bien vite battue en brèche, que la guerre qui s’avance sera courte : le rétablissement spectaculaire opéré sur la Marne et la phase d’opérations baptisée « course à la mer » ouvrent sur la guerre de position qui s’annonce longue et difficile. Les soldats ne rentrent pas chez eux pour Noël. Autre découverte, autre désillusion : le caractère mortifère – au delà de tout ce qu’on avait pu envisager – des affrontements. Au cours du conflit, plusieurs millions de combattants périssent. Un si grand nombre de cadavres justifie l’ensevelissement sur place. De ce fait les départements sur lesquels a serpenté la ligne de front sont aujourd’hui parsemés de cimetières de nombreuses nationalités.

L’Argonne, massif boisé que délimitent l’Aisne et son affluent l’Aire, fut le théâtre de violents combats, car c’est là que des corps d’armée allemands se replièrent après la défaite de la Marne. La région, difficilement franchissable en dehors de quelques défilés, se prête à l’installation de fortes positions défensives. Elle abrite en particulier la forteresse naturelle de la Main de Massiges, système escarpé d’échancrures séparant cinq crêtes situé sur le territoire de la commune de Massiges. Leur disposition rappelle une main gauche ouverte, posée paume au sol et dont les doigts s’étendent vers l’ouest. Chaque doigt, l’index par exemple, donne son nom à une crête et à un ravin. Malgré de multiples tentatives, l’une particulièrement meurtrière à l’automne 1915, l’armée française ne parvint à occuper complètement et durablement la zone qu’après la grande contre-offensive de 1918. De nombreux soldats tombés en tentant l’assaut de la Main furent inhumés au cimetière du ravin de l’Index.

Un cimetière militaire parmi tant d’autres

En ce jour de mai 1917, une lumière vive, presque aveuglante, découpe des ombres cruciformes sur le gravier blanc qui couvre les sépultures et les allées du cimetière du ravin de l’Index. Dans cet espace ouvert s’alignent régulièrement les croix qui marquent les tombes rectangulaires toutes identiques. Le cadrage proche du sol et une vue de trois quarts permettent au regard d’embrasser un très grand nombre de sépultures. Sans doute l’auteur, photographe et soldat, a-t-il voulu produire cette impression de vertige qui saisit. Aux quatre tombes du premier plan en succèdent huit, puis toujours plus à mesure que le regard se porte vers l’horizon borné seulement par des croix de bois, indifférenciées. Toutes comportent des informations lisibles sur celles du premier plan. Sur le croisillon vertical figurent la rangée, le numéro de la tombe et l’inscription « ici repose ». Le croisillon horizontal énonce successivement le nom du soldat tué, son prénom et son unité, puis, au-dessous, le jour de sa mort. Ainsi la deuxième des tombes du premier rang indique-t-elle « Ici repose / Pontonnier Alexandre bomb[…] 115e / tué le 13.2.16 ». À cette date sont également tombés les fantassins du 115e qui occupent les emplacements voisins. Dans la troisième allée, sur la droite du cliché, un soldat vient rendre visite à ses camarades. Accroupi et comme écrasé, la main tombante, il lit les simples inscriptions qui lui remémorent des moments d’horreur et de fureur. Nul doute que d’autres proches ont pu venir se recueillir en ce lieu. En attestent quelques couronnes de fleurs posées de loin en loin sur les tombes ou accrochées aux croix.

Fraternité dans la mort


Le premier conflit mondial a instauré un nouveau rapport à la mort. Elle s’était individualisée dans la « mort de l’autre » au siècle précédent. Alors la bourgeoisie avait étendu sa vision du chagrin à toute la société. Un culte des morts, précisément des proches décédés, s’était mis en place, illustré par l’édification de monuments funéraires, par le développement des concessions perpétuelles et par la ritualisation de la visite au cimetière à la Toussaint. La « mort de masse » qui caractérise les champs de bataille de 1914-1918 engendre des évolutions comme la banalisation du décès et une perte de sensibilité pour ceux qui y assistent, a fortiori pour ceux qui le provoquent. Les écrits de Blaise Cendrars ou d’Ernst Jünger entre autres en fournissent des témoignages circonstanciés. En parallèle cette fréquentation de la mort brutale renforce la camaraderie entre les hommes et contribue à une déshumanisation de l’ennemi au nom de la justesse des valeurs que l’on défend. Les Français parlent de « guerre du droit ». Cette solidarité créée par le vécu collectif au front conduit à une véritable empathie avec les soldats morts, chaque survivant sachant bien qu’il pourrait être à leur place. Dans La Marmite, petit journal des tranchées, on peut lire dans le numéro en date de mai 1916 : « On doit penser qu’une guerre formidable, qui fauche à tout instant les camarades d’un même rang, les amis d’enfance, les frères, développe jusqu’à l’aigu l’amour des morts. C’est au point qu’on les considère comme vivants, qu’ils sont plus vivants que jamais. Quand on prononce un nom et que quelqu’un répond : tué à X…, il n’y a pas le petit silence froid qu’on pourrait croire. Non. On rappelle des souvenirs, des détails, la mort elle-même dont le plus souvent on a été témoin. […] On les invoque, on les voit, ils sont là et l’on marche. »

Dans ces terribles conditions, il ne peut plus être question de sépultures individuelles pour tous ces hommes. En revanche, la France va se couvrir de cénotaphes (ou tombeaux vides) et de monuments aux morts, mémoriaux qui égrènent les noms et prénoms des défunts. Ils témoignent du culte des morts lié à la première grande tuerie du XXe siècle.

 

Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, 14-18.Les combattants des tranchées, Paris, Armand Colin, 1986.Stéphane AUDOIN-ROUZEAU et Annette BECKER, 14-18.Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000.Frédéric LACAILLE et Anthony PETITEAU, Photographies de poilus, soldats photographes au cœur de la Grande Guerre, Paris, Ministère de la défense (SGA/DMPA et Musée de l’Armée)-Éditions Somogy-Éditions d’Art, 2004.Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Bernard COLOMB, « La Mort de masse », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/mort-masse

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