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L'Alsace. Elle attend

L'Alsace. Elle attend

Date de création : 1871

Date représentée : 1871

H. : 60 cm

L. : 30 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© RMN-Grand Palais / Franck Raux

Lien vers l'image

JJHP 1972-15 - 07-502400

L'Alsace. Elle attend

Date de publication : Juillet 2007

Auteur : Claire BESSÈDE

La perte de l’Alsace-Lorraine

La guerre de 1870 se conclut, le 10 mai 1871, par la signature du traité de Francfort. La France, vaincue, cède au nouvel Empire allemand l’Alsace et une partie de la Lorraine correspondant à l’actuel département de la Moselle. L’Alsace-Lorraine, traduction de l’allemand Elsass-Lothringen, est directement placée sous la souveraineté de l’empereur Guillaume Ier. Dans les territoires annexés comme en France se développent l’esprit de revanche et la nostalgie des provinces perdues. Notons que ce sentiment fut sensiblement moins fort que la mythologie républicaine et patriote ne l’a affirmé. Exacerbé entre 1871 et 1872, il s’estompe rapidement pour resurgir surtout à la veille et durant la Première Guerre mondiale.

Le tableau est commandé, à l’initiative de Mme Kestner, par des dames de Thann à Jean-Jacques Henner, peintre né à Bernwiller, dans le sud de l’Alsace. Il est offert à Léon Gambetta (1838-1882), qui le fait graver par Léopold Flameng pour lui assurer une large diffusion.

Partisan de la guerre à outrance, Gambetta s’était opposé à la signature d’un armistice lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et de la Guerre. En février 1871, il est élu dans neuf départements mais choisit d’être député du Bas-Rhin avant de démissionner pour montrer son opposition à l’abandon de l’Alsace-Lorraine. D’après Castagnary, dans Le Siècle du 31 juillet 1871, Gambetta montrait le tableau en disant « C’est ma fiancée ! ».

Ce n’est pas une Alsacienne, c’est l’Alsace

L’Alsace. Elle attend n’est pas un portrait, comme celui de sa nièce Eugénie exposé par Henner au Salon de 1870 sous le titre Alsacienne (Paris, musée national Jean-Jacques Henner), mais une personnification de l’Alsace. « Ce n’est pas une Alsacienne, c’est l’Alsace », écrit Castagnary dans Le Siècle. Pourtant, contrairement au sculpteur Paul Cabet dans Mille huit cent soixante et onze ; l’année terrible (Salon de 1872, Paris, musée d’Orsay), Henner ne représente pas une figure drapée terrassée par le chagrin. Son allégorie appartient au monde réel : une jeune Alsacienne en deuil, simple et digne. À cette époque le peintre, Prix de Rome en 1858, a adopté un style naturaliste comme en témoigne sa Femme couchée dite La Femme au divan noir (Mulhouse, musée des Beaux-Arts), exposée au Salon de 1869.

Le tableau frappe par son dépouillement et l’absence de tout élément anecdotique : ni lettre annonçant une triste nouvelle ni fenêtre donnant sur la ligne bleue des Vosges. C’est la coiffe de la jeune femme qui confère à l’œuvre sa signification patriotique : un nœud noir alsacien avec une cocarde tricolore, seule véritable touche de couleur du tableau.

 

Un tableau emblématique

Louis Loviot écrit en 1912 : « La France tout entière reconnut dans cette figure la personnification de l’Alsace perdue […] Reproduite sous mille formes, l’Alsacienne [en fait L’Alsace] fut pour Henner ce qu’a été Le Passant pour François Coppée, elle lui a donné la popularité » (dans J. J. Henner et son œuvre, Paris, 1912, p. 16).

Dès 1871, cette toile a suscité un grand nombre d’articles d’auteurs qui, portés par un sentiment patriotique, l’ont généralement interprétée avec un lyrisme contrastant avec sa retenue.

Évoquant moins la jeune fille qui a posé pour Henner que le symbole qu’elle incarne, Castagnary écrit dans Le Siècle : « Elle a seize ans, l’âge de la génération qui doit voir s’accomplir l’inévitable revanche. » Selon La République française du 31 janvier 1872 : « Si triste qu’elle soit, un sentiment inattendu de coquetterie féminine lui a fait piquer une cocarde tricolore au milieu des larges rubans qui battent son front comme des ailes de papillons noirs. » Pour Louis Ratisbonne dans Le Journal des Débats du 1er janvier 1873 : « Dans ses cheveux on remarque la cocarde tricolore, bleue, blanche et rouge, comme un Ne m’oubliez pas ! sur lequel serait tombée une goutte de sang. » Le myosotis doit d’ailleurs sa signification dans le langage des fleurs (« ne m’oubliez pas ! ») à une légende allemande.

Dans le contexte d’exacerbation du patriotisme qui a suivi la défaite, le tableau de Henner est devenu emblématique de la souffrance de l’Alsace, douleur qui était aussi celle d’un peintre très attaché à sa terre natale.

Face à l’impressionnisme, Jean-Jacques Henner (1829-1905), le dernier des romantiques, catalogue de l’exposition du musée de la Vie romantique, 26 juin 2007-13 janvier 2008, Paris, Éditions Paris Musées, 2007.

Jules-Antoine CASTAGNARY, « La petite Alsace », in Le Siècle, 31 juillet 1871.

François ROTH, La Guerre de 1870, Paris, Fayard, 1990.

Hommage à Léon Gambetta, catalogue d’exposition, Paris, Musée du Luxembourg, 1982.

Claire BESSÈDE, « L'Alsace. Elle attend », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 07/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/alsace-elle-attend

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