Aller au contenu principal
L'exhumation de Defest à Carency

L'exhumation de Defest à Carency

Après

Après

L'exhumation de Defest à Carency

L'exhumation de Defest à Carency

Auteur : FALKÉ Pierre

Date de création : 1915

Date représentée : 1915

Dessin aquarellé.

Domaine : Dessins

© Collections La Contemporaine

Dessiner la mort pendant la guerre de 1914-1918

Date de publication : Juillet 2006

Auteur : Laurent VÉRAY

Les conditions nouvelles de la guerre infligent des violences innombrables et terribles aux soldats. Le champ de bataille est un immense charnier. Les images de la mort au combat diffusées à l’arrière tentent généralement d’estomper l'horreur de la réalité. Les soldats eux-mêmes, dans leurs diverses représentations, en particulier picturales, essayent d’exorciser par tous les moyens la mort omniprésente. La mort brutale, atroce, reste le plus souvent non figurée. Cette mise à distance est une des conditions de leur survie.

Le premier document est un dessin rehaussé d’aquarelle, intitulé L’Exhumation de Defest à Carency (1915). Il montre deux soldats, l’air profondément troublé, qui regardent l’intérieur d’une fosse commune où un terrassier déterre le cadavre d’un camarade tué quelque temps auparavant, afin de le mettre dans un cercueil et de l’ensevelir de nouveau. Une humble croix de bois attend sur le bord de la fosse. On distingue à l’arrière-plan des soldats qui piochent pour creuser une tombe. A gauche, une couronne mortuaire ornée d’un ruban bleu-blanc-rouge est posée sur un monticule de terre.


Le second document est constitué de quatre zones distinctes qui organisent l’espace de cette composition en aplat. On découvre d’abord au premier plan le profil d’un soldat qui mange, sans aucune expression apparente, tournant le dos aux autres personnages. Sa présence suscite une impression saisissante de proximité. La deuxième zone, qui est la plus dense, représente la mort. On y voit un soldat muni d’une pelle qui s’apprête à enterrer quatre cadavres allongés sur la gauche. Deux d'entre eux sont recouverts d’une toile. Le troisième est couché sur le dos. De son visage dont les yeux grands ouverts fixent le ciel se dégage une sérénité étrange. Il a les bras posés en croix sur le ventre, comme s’il implorait Dieu. L’attitude du quatrième est plus terrible. La tête en arrière, son corps paraît être saisi de contorsions douloureuses, ses bras sont raidis et ses mains crochues. Cette attitude traduit l’atroce souffrance endurée par les combattants tués sur le champ de bataille. Juste au-dessus de cet amoncellement de cadavres se trouve un cortège de blessés. Un peu en contrebas, un soldat interpelle le spectateur du regard. Plus loin, quatre brancardiers s’éloignent en portant un corps. Les silhouettes des soldats qui avancent en file indienne à l’arrière-plan sur la colline, avant de disparaître dans le néant, font penser à une foule parcourant un chemin de croix. La clarté de cette quatrième zone contrebalance la tonalité très sombre du bas.

Le premier document montre une exhumation, scène émouvante et rarement représentée, qui a visiblement lieu à proximité des zones de combat. Cette composition en couleur est de Pierre Falké. Elle est organisée de façon à ce que l’on remarque immédiatement la dépouille du soldat tué, que l’artiste, chose peu courante, a pris soin de dessiner en détail. Toutefois, il faut noter que le corps est presque intact, sans blessure grave apparente. Compte tenu des liens de camaraderie établis au front, la disparition d’un copain est toujours extrêmement douloureuse pour les combattants. On mesure combien cela fut sans doute pénible, mais nécessaire pour l’artiste, de représenter cette funèbre cérémonie, comme pour garder à jamais la trace matérielle de ce terrible moment. Les symboles religieux (la croix de bois, qui deviendra le symbole de la mort durant la Grande Guerre) et national (le ruban tricolore) se font face, de chaque côté du défunt, comme pour rappeler le sens de sa mort, lui donnant une connotation tant spirituelle que patriotique.


Le deuxième document est une œuvre chargée de significations symboliques très fortes. C’est un dessin d’Alexandre Zinoview, artiste émigré russe, engagé volontaire dans l’armée française en 1914. D’abord versé dans la Légion étrangère, puis affecté dans les troupes du tsar avant de revenir dans la Légion après la révolution de 1917, il rend compte de son expérience de soldat à travers sa création. Ce dessin intitulé Après (sous-entendu « la bataille ») renvoie incontestablement au caractère très éphémère de l’existence du combattant. Il reconstitue en quelque sorte les différentes étapes de son calvaire jusqu’à la mort sorte par une accumulation d’éléments dans l’espace représenté. Et l’apparente indifférence ou résignation du soldat situé au premier plan n’y change rien. Le style de Zinoview est nettement plus métaphorique que l’exemple précédent. Le fait que l’artiste ait choisi d’utiliser seulement le crayon à papier accentue l’atmosphère grisâtre et lugubre de l’ensemble tout en témoignant de l’intensité émotionnelle qui a présidé à sa réalisation. Dans les deux cas, loin de l’imagerie d’Epinal où l’on voit des combattants héroïques qui meurent au champ d’honneur, il s’agit d’hommages traduisant la tristesse et la douleur des artistes soldats, de traces du sacrifice de leurs amis disparus.

Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Annette BECKER La Guerre et la foi. De la mort à la mémoire (1914-1930) Paris, Armand Colin, 1994.

Laurent GERVEREAU (dir.)Voir, ne pas voir la guerre : histoire des représentations photographiques de la guerre catalogue de l'exposition du musée d'Histoire contemporaine/BDIC, printemps 2001, Paris, BDIC/Somogy, 2001.

Carine TREVISAN Les Fables du deuil. La Grande Guerre, mort et écriture Paris, PUF, 2001.

Laurent VÉRAY « Montrer la guerre : la photographie et le cinématographe », in Guerre et cultures (sous la direction de Jean-Jacques BECKER, Jay M.WINTER, Gerd KRUMEICH, Annette BECKER, Stéphane AUDOIN-ROUZEAU) Paris, Armand Colin, 1994.

Laurent VÉRAY, « Dessiner la mort pendant la guerre de 1914-1918 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/dessiner-mort-guerre-1914-1918

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La signature du traité de Versailles

La signature du traité de Versailles

Faire la paix en 1919, une gageure

La conférence de la paix s’ouvre à Versailles le 18 janvier 1919. Deux mois après l’armistice, la question…

La Galerie des Glaces transformée en ambulance

La Galerie des Glaces transformée en ambulance

L’effondrement du Second Empire en 1870 suite aux victoires de l’armée allemande s’accompagna d’une avance rapide de l’ennemi jusqu’à Paris,…

Scène de dragonnade (Fin XVII<sup>e</sup> siècle)

Scène de dragonnade (Fin XVIIe siècle)

Le protestantisme dans la clandestinité

Dans un genre très répandu au XVIIe siècle, notamment depuis l’épisode de la Fronde, cette gravure de…

Bivouac après le combat du Bourget, 21 décembre 1870

Bivouac après le combat du Bourget, 21 décembre 1870

La défaite de l’armée de Napoléon III à Sedan (Mac-Mahon) et à Metz (Bazaine) à l’automne 1870 provoqua l’effondrement du Second Empire et la…

Célébrer la guerre : la bataille des images d’Épinal

Célébrer la guerre : la bataille des images d’Épinal

L’imagerie populaire et l’imaginaire patriotique

Quand éclate la guerre, au début du mois d’août 1914, l’imagerie populaire a déjà amplement gagné…

Célébrer la guerre : la bataille des images d’Épinal
Célébrer la guerre : la bataille des images d’Épinal
Célébrer la guerre : la bataille des images d’Épinal
L’intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale

L’intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale

L’intervention des Américains

Les Etats-Unis, qui avaient d’abord résolu de rester neutres, en 1914, sont entrés en guerre, le 6 avril 1917, aux…

Les Troupes coloniales françaises

Les Troupes coloniales françaises

En 1914-1918, les opérations militaires n’ont pas été très importantes en Afrique. En revanche, les soldats originaires des colonies ont joué un…

Combats de Quiberon

Combats de Quiberon

Le 27 juin 1795 en baie de Quiberon, la flotte britannique débarque sur la plage de Carnac plus de quatre mille émigrés et quelques centaines de…

L'engagement des artistes dans la Grande Guerre

L'engagement des artistes dans la Grande Guerre

Les Bretons dans la guerre

En Bretagne, les pertes humaines de la Grande Guerre semblent avoir été plus lourdes que dans le reste du territoire.…

L'engagement des artistes dans la Grande Guerre
L'engagement des artistes dans la Grande Guerre
L'engagement des artistes dans la Grande Guerre
Le passage du Rhin par Louis XIV

Le passage du Rhin par Louis XIV

L’offensive éclair de la France

Le 6 avril 1672, Louis XIV déclare la guerre aux Provinces-Unies (Pays-Bas du Nord) afin d’abaisser l’outrageuse…

Le passage du Rhin par Louis XIV
Le passage du Rhin par Louis XIV