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French Set Girls.

French Set Girls.

Red Set Girls, and Jack-in-the-Green.

Red Set Girls, and Jack-in-the-Green.

John-Canoe / Band of the Jaw-Bone John Canoe

John-Canoe / Band of the Jaw-Bone John Canoe

Koo, Koo or Actor-Boy.

Koo, Koo or Actor-Boy.

French Set Girls.

French Set Girls.

Date de création : 1837

Date représentée : 1837

H. : 35 cm

L. : 27 cm

Lithographie en couleurs. Planche tirée de "Sketches of character, in illustration of the habits, occupation, and costume of the negro population in the Island of Jamaica"

Domaine : Estampes-Gravures

© Bibliothèque Mazarine

Lien vers le livre

Origines du carnaval à la Jamaïque

Date de publication : Janvier 2007

Auteur : Yves BERGERET

Origines du carnaval à la Jamaïque

Origines du carnaval à la Jamaïque

Isaac Mendes Belisario (1795-1849), peintre et graveur d’origine italienne né à Londres, installé en 1830 à Kingston en Jamaïque, alors colonie anglaise, y excelle comme peintre de paysages et de portraits.

Il lithographie lui-même en juin 1837 douze dessins à l’aquarelle, de scènes d’une sorte de carnaval pratiqué depuis des décennies par les esclaves à l’époque de Noël. Il publie lui-même, par souscriptions, ses « Esquisses de personnages, illustrant les modes de vie, les activités et le costume des Noirs de l’île de la Jamaïque » les accompagnant de textes descriptifs détaillés que l’on peut dire ethnographiques. Même si l’esclavage est aboli à la Jamaïque en 1833, ces lithographies sont des documents très parlants sur la perception de la vie des esclaves, avant comme après leur émancipation ; elles connaissent encore maintenant une grande popularité en Jamaïque.

Les esclaves se voient accorder par leurs maîtres trois journées de réjouissance, à Noël, et une au Nouvel An. Des « bandes » concurrentes d’esclaves s’organisent longtemps à l’avance ; elles dépensent leurs très maigres économies pour préparer avec le plus grand soin ces fêtes costumées, qui ont lieu sous forme de défilés dans la rue, sauf la fête des « French Set-Girls », dirigée dans une cour close par une esclave « Reine », pratiquée seulement par la « communauté » qui a fui Saint-Domingue en guerre pour la Jamaïque en 1794[1]. Elles surpassaient toutes les autres bandes par leur élégance raffinée.

Les costumes, méticuleusement préparés, sont dans les jours qui suivent détruits, parfois par le feu ; en outre des « bandes » rivales vont parfois jusqu’à s’affronter violemment. Enfin, certains défilés, dit Belisario, donnent lieu à des concours dont la réputation anime encore la Parade, grand défilé devant les principales « Tavernes » (d’Européens) ou même devant le Centre des Affaires de Kingston. On ovationne sous le nom d’« Actor-boys » ces serviteurs parodiant une journée leurs maîtres, les atours et les pouvoirs de ceux-ci.

Toutes les scènes sont présentées de manière frontale, en pleine lumière et à l’extérieur. L’ambiance est heureuse. Les visages ronds et replets des ex-esclaves sourient. Les hommes, comme oisifs, portent cheveux longs et souvent barbe. Même les instrumentistes, très pauvres, qui accompagnent John-Canoe participent à la joie de la fête. Les lithographies montrent un peuple heureux, bien nourri, qui s’amuse et a mis pour cela de beaux vêtements. D’ailleurs, à quelques exceptions près, tous les personnages sont coiffés.

Belisario dessine les vêtements avec une minutie de décorateur-costumier de théâtre. Les éléments hétérogènes qui les composent ont presque tous des origines européennes, et non pas africaines. Ses commentaires soulignent la magnificence des perruques et des tissus pour les grands personnages masqués, la profusion des bijoux, etc.

Le style de dessin de Belisario est ferme et franc : tel est sans doute le caractère de l’artiste. Il a senti la puissance fascinante de ces scènes de carnaval d’esclaves. Même si acteurs et spectateurs sourient, sont parés magnifiquement et même, pour certains d’entre eux, chaussés élégamment, ce sont avant tout d’anciens esclaves. Même si, écrit Bélisario, certaines « bandes » sont nommées, « rouge » pour représenter les Anglais, « bleue » pour les Ecossais, même si, nous dit encore Belisario, certains défilés et concours de parures empruntent à Shakespeare des personnages, ce que mettent en scène ces quatre journées de folle et intense liberté, c’est l’éphémère et ironique recomposition de l’ordre de la société et de l’ordre du destin, avec le lexique des vêtements des maîtres. Si les signes visuels de parure des corps asservis sont ces tissus, ces chapeaux, ces dentelles, ces perruques venus d’Europe, multiples sont les signes qui montrent que ceux qui sont nés esclaves jouent ces quatre jours-là, plus encore, une grande dramaturgie pour refonder leur personne ou se ressourcer dans leur culture africaine.

La persistance tenace et profonde de l’usage animiste africain se remarque dans divers personnages. Le « Jack-in-Green » pieds-nus, que l’artiste figure dans le dos de danseuses chapeautées, aux très larges robes à dentelles et en escarpins fins, est en fait au centre de la cérémonie, comme certains des plus puissants et plus redoutés Masques africains, dans les danses de possession, où le corps de l’initié qui danse en tant que porte-parole du « génie » invoqué, très redouté, est entièrement camouflé – et protégé – par un masque sur le visage et de longues fibres végétales sur tout le corps.

Belisario s’attache en outre à figurer John-Canoe, danseur masqué, aux pas statiques et monotones, affublé de signes hétérogènes de pouvoirs européens. Il porte une maquette de maison, que Belisario dit ne pas comprendre, mais ce personnage réincarne John Canoe, qui était un chef coutumier de village dans le Golfe de Guinée, exerçant dans les années 1720 une très grande autorité morale, ne serait-ce que par l’efficacité de ses relations rituelles avec les « génies » et les Ancêtres.

Belisario nous montre un monde organisé et sans violence. Même les musiciens, aux puissants instruments à percussion, méticuleusement dessinés, sourient dans la belle fête que l’ensemble des lithographies nous transmet comme un paisible théâtre finalement assez peu exotique.

Même dans la déportation aux Amériques, l’esclave n’oublie pas l’Afrique. Les instruments de musique dessinés minutieusement par Belisario défilent avec les danseurs au milieu de la foule. Ils sont capables de convoquer les « génies » et d’induire la transe ou la possession des initiés. Belisario remarque les percussions qui mettent par excellence en scène le pouvoir et provoquent un effet envoûtant sur ceux qui les entendent dans la rue lors des défilés. Il remarque bien la peau de chèvre tendue sur le cadre carré du petit tambour plat qui suit John-Canoe ; et cette chèvre vient sans doute d’un sacrifice animiste. Il remarque aussi le grand tambour à note unique très grave, identique à l’actuel Gros-Ka en Guadeloupe, et la mâchoire inférieure de cheval dont un initié frotte d’une baguette de bois les dents : « prélude sonore dans une représentation théâtrale, à l’entrée en scène d’un fantôme grommelant ».

L’usage des signes vestimentaires européens dans ces scènes est parodique, mais il est aussi porté et assimilé par la pensée animiste, sans écriture, qui habite tous ces anciens esclaves. Un signe, même vestimentaire, exerce un pouvoir sur le réel et lui intime un ordre : ici celui de contribuer concrètement à bâtir une identité et un destin. Ce ne sont pas des esclaves qui dansent en essayant d’oublier qu’ils sont Noirs, ce sont des Noirs qui, dansant habillés avec des signes vestimentaires européens, mettent en action pour eux, Noirs, les signes de pouvoir des Européens. Ils le peuvent d’autant plus que la pensée animiste, polythéiste, peut parfaitement incorporer dans ses pratiques des éléments nouveaux et même hétérogènes.

De la découverte à l’émancipation, trois siècles et demi d’histoire antillaise, exposition présentée par Marcel Chatillon et Jean-Claude Nardin Bibliothèque Mazarine., 2 novembre 1998 - 29 janvier 1999.Paris, 1998 National Library of Jamaica | Biographies | Isaac Mendes Belisario, Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitionsDirection des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.

Yves BERGERET, « Origines du carnaval à la Jamaïque », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/origines-carnaval-jamaique

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