Aller au contenu principal
Jenny l'ouvrière.

Jenny l'ouvrière.

Date de création : 1890

Date représentée :

H. : 150

L. : 102

Lithographie.Publicité pour un « grand roman inédit ».

Domaine : Affiches

© Photo RMN - Grand Palais - J.-G. Berizzi

http://www.photo.rmn.fr

05-513777 / 61.18.69F

Jenny l'ouvrière héroïne de roman

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alexandre SUMPF

Le développement de la lecture et de la littérature populaires au XIXe siècle

À la fin du XIXe siècle, le genre du roman-feuilleton « populaire », illustré, facile à lire et distrayant, connaît un immense succès, notamment dans les milieux ouvriers et urbains. De plus en plus capables de lire, les ouvriers sont ainsi les clients de choix de ce type de littérature, et notamment les ouvrières à qui sont destinés les romans « sentimentaux » comme Jenny.

Le terme « gratis » et les prix proposés ne laissent d’ailleurs pas de doute sur la cible visée par la publicité. La maison Rouff est parmi les plus renommées, qui vend chaque semaine plusieurs milliers d’exemplaires des fascicules des nouveaux romans de Xavier Montépin ou d’Adolphe Ennery. La mention du nom en bas de l’affiche assure ainsi la publicité de l’enseigne, mais garantit aussi le style et la qualité du roman (l’ouvrière sait quel genre de livres édite Rouff, et Rouff sait quel genre de livre ses clientes recherchent).
Le nouveau roman de Jules Cardoze est donc un succès annoncé. L’auteur y reprend la figure de Jenny l’ouvrière, héroïne d’une romance populaire du milieu du siècle (1848) où, sur une musique d’Étienne Arnaud, les paroles d’Émile Barateau louent le caractère de cette tisseuse dure à la tâche, pauvre mais fière et courageuse. La chanson est alors célèbre, au point que « Jenny » devient presque un nom générique pour désigner ce type fantasmé et héroïque de la jeune ouvrière qui résiste aux coups durs et surmonte les malheurs de la vie.

Faire la publicité de la littérature

Jenny l’ouvrière, grand roman inédit est une affiche publicitaire datant de 1890-1891, destinée à une très large diffusion, imprimée par Champenois & Cie (en petit sur la droite). Haute d’un mètre cinquante et large d’un mètre, elle se compose de couleurs vives, de gros caractères stylisés et d’images propres à attirer l’attention et à transmettre un message assez clair, rapide et efficace pour susciter l’envie des clients.
L’affiche fait la promotion du nouveau roman écrit par Jules Cardoze, Jenny l’ouvrière, dont le titre est mis en évidence en lettres bleues sur fond jaune. Elle porte aussi clairement la description du produit proposé : « grand roman inédit ».
Mentionnée au bas de l’affiche, la maison « Jules Rouff & Cie » qui publie le roman, fondée au début des années 1880, est spécialisée dans l’édition de romans « populaires » qu’elle vend sous la forme de petits fascicules bon marché (ici « 10 centimes ») à un rythme généralement hebdomadaire (ils paraissent souvent le samedi, jour de paye des ouvriers). Qu’ils soient déjà classiques comme Les Misérables, Les Mystères de Paris ou « inédit(s) » comme Jenny, ces romans sont souvent très volumineux (on évoque ici le « grand » roman, pour marquer la quantité autant ou peut-être plus que la qualité), distribués parfois, selon leur succès et les suites qu’il implique, en plusieurs centaines de fascicules. Pour encourager le lecteur à s’abonner, la publicité évoque donc le prix avantageux et promet « gratis » les deux premières livraisons.
Pour susciter le désir de lire, deux représentations suggèrent le genre d’aventures et de héros que l’on pourra découvrir. La première montre Jenny saine, le teint clair, robuste, belle et radieuse avec son enfant. L’atmosphère est sereine et joyeuse, impression renforcée par la forme circulaire du médaillon. À l’inverse, la seconde illustration figure une inquiétante scène d’enlèvement nocturne : les teintes employées, l’homme brun et patibulaire qui y apparaît ainsi que son format carré opposent cette image à celle du haut.

Jenny, symbole de l’ouvrière héroïque

Durant la seconde partie du XIXe siècle, le nombre d’ouvriers augmente en France. En 1886, on en recense ainsi plus de 3 millions, employés dans le secteur industriel, concentrés dans les villes. Parmi eux, on compte un tiers de femmes. Ouvrières à domicile exécutant des petits métiers ou encore employées dans l’industrie chimique, les ateliers et les grandes manufactures textiles, elles sont de plus en plus nombreuses.
Désormais inscrites dans la réalité quotidienne des villes, ces femmes frappent l’imaginaire collectif : sujet de débats, de réflexions et de fantasmes plus ou moins positifs, la figure de la travailleuse urbaine s’impose jusqu’à devenir un thème qui est aussi artistique et notamment littéraire. Les représentations de l’ouvrière en ville deviennent alors très courantes, reflétant et marquant tout à la fois l’époque.
Ces femmes sont aussi des clientes potentielles et, par là, représentent un enjeu économique majeur. Les romans populaires illustrés, qui s’adressent principalement aux ouvriers, voient ainsi leurs ventes augmenter très sensiblement durant la seconde partie du siècle.

L’affiche promet donc aux travailleuses de l’émotion (voir Jenny et son enfant), de l’action et du frisson (rebondissements et scènes d’angoisse comme celle de l’enlèvement), mais vécus par une femme « comme elles », une « ouvrière ». Reposant sur l’identification (thèmes et lieux familiers), le fantasme d’une vie rêvée (ces éléments du quotidien sont magnifiés par l’aventure) et la représentation positive de soi (toutes les ouvrières sont héroïques), l’affiche et le roman dont elle assure la promotion suggèrent une certaine vision du monde ouvrier par lui-même.

Georges DUBY et Michelle PERROT (dir.), Histoire des femmes, tome IV « Le XIXe siècle », Paris, Plon, 1991.Michel GILLET, « Dans le maquis des journaux-romans.La lecture des romans illustrés », in Romantisme, n° 53, 1986, p.59-69.Gérard NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1986.

Alexandre SUMPF, « Jenny l'ouvrière héroïne de roman », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/jenny-ouvriere-heroine-roman

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle

L’amour maternel au XIXe siècle

L’historien Philippe Ariès a décrit le processus par lequel, au XVIIIe siècle, l’enfant devient un être digne d’intérêt, avec des…

L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
L’amour maternel au XIX<sup>e</sup> siècle
Degas, peintre de genre ?

Degas, peintre de genre ?

Une peinture de genre troublante

À la fin des années 1860, Edgar Degas n’est pas encore le peintre de danseuses et de femmes à la toilette qui…

Femmes au travail

Femmes au travail

Dès qu’il arrive à Paris, en 1881, Steinlen, Vaudois de naissance, se rapproche des milieux ouvriers anarchistes dont il accepte d’illustrer…

Femmes au travail
Femmes au travail
Femmes au travail
Femmes au travail
Réjane, comédienne et interprète de la Belle Époque

Réjane, comédienne et interprète de la Belle Époque

Le Boulevard et sa reine

La diffusion, sous forme de cartes postales, des portraits photographiques des actrices est, à la Belle Époque, la…

Le don patriotique des femmes sous la Révolution

Le don patriotique des femmes sous la Révolution

Le 7 septembre 1789, un groupe de onze femmes se présente devant les membres de l’Assemblée nationale pour faire don à la nation d’une cassette…

La guerre d’Indépendance en Grèce

La guerre d’Indépendance en Grèce

Sous l’emprise des idées de la Révolution française, la Grèce aspire à son indépendance au début du XIXe siècle. Elevés dans le culte…

La guerre d’Indépendance en Grèce
La guerre d’Indépendance en Grèce
La guerre d’Indépendance en Grèce
L’ouvrière au début du XX<sup>e</sup> siècle

L’ouvrière au début du XXe siècle

Peindre l’ouvrière au début du XXe siècle: du militantisme à l’académisme ?

En 1905, la population ouvrière est estimée à plus de…

L’ouvrière au début du XX<sup>e</sup> siècle
L’ouvrière au début du XX<sup>e</sup> siècle
La femme orientale dans la peinture du XIX<sup>e</sup> siècle

La femme orientale dans la peinture du XIXe siècle

À partir de 1704, après la traduction des Mille et Une Nuits par Antoine Galland (1646-1715), l’image sensuelle de la femme du harem inspire les…

La femme orientale dans la peinture du XIX<sup>e</sup> siècle
La femme orientale dans la peinture du XIX<sup>e</sup> siècle
La femme orientale dans la peinture du XIX<sup>e</sup> siècle
Le vote des femmes en France : le « référendum » du 26 avril 1914

Le vote des femmes en France : le « référendum » du 26 avril 1914

Le mouvement « suffragiste » français en pleine effervescence

Si plusieurs associations françaises avaient milité pour le droit de vote des…

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque

La métamorphose d’une mère de famille en « grande horizontale »

Depuis le Second Empire, le portrait photographique connaît un véritable essor,…

Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque