Aller au contenu principal
Un vanneur.

Un vanneur.

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : vers 1848

Date représentée :

H. : 79,5 cm

L. : 58,5 cm

huile sur bois. Réplique avec variantes du tableau exposé au Salon de 1848 (Londres, National Gallery).

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

RF 1874 - 07-538771

Le paysan entre en Histoire

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Chantal GEORGEL

Le paysan fut longtemps un oublié de l’Histoire. Vilain du Moyen Age, pâtre matois de Molière, berger d’idylle au XVIIIe siècle : il ne figure guère dans la conscience historique, artistique ou littéraire, si ce n’est sous forme de fiction. Vint la Révolution, l’abolition des privilèges, la chute de la noblesse et l’adoubement du tiers état ; les paysans participent aux journées révolutionnaires, courent aux frontières défendre la République, avant que d’être enrôlés massivement dans les armées de l’Empire. Ayant fait leur entrée sur la scène de l’Histoire, ils vont y être de plus en plus présents à mesure que la société de la Restauration et de la monarchie de Juillet découvre la province – la publication des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, par Taylor et Nodier, débute en 1820 –, le peuple qui l’habite et les grandes questions sociales. C’est alors, en 1846, que Michelet leur rend hommage dans Le Peuple : « Le paysan n’est pas seulement la partie la plus nombreuse de la nation, c’est la plus forte, la plus saine et, en balançant bien le physique et le moral, au total la meilleure. » George Sand en exalte « l’âme primitive» dans ses romans rustiques tandis que le très conservateur Balzac en dénonce la monstruosité. En instaurant le suffrage universel en 1848, la IIe République fera du paysan un citoyen à part entière, un homme dont le bulletin de vote peut influer sur le cours de l’Histoire.

Au Salon de 1848 – le premier de la IIe République, librement ouvert à tous –, Millet présente deux tableaux : La Captivité des Juifs de Babylone, un tableau d’Histoire susceptible d’attirer les commandes, et Un vanneur, qui constitue un véritable début dans le genre où il allait s’illustrer, la peinture des paysans. Il montre un paysan – un vanneur – qui, à l’aide du van (sorte de panier en forme de coquille, très plat et muni de deux anses) fait sauter le grain pour le séparer de la paille. Aucune fioriture : le paysan travaille, dans sa grange, en habit de travail, sabots aux pieds. Le sérieux de la représentation, la simplification de la silhouette, qui élargit le geste, les tons larges de couleurs chaudes : tout surprit dans cette œuvre, un tableau magistral du point de vue esthétique. Ecoutons Gautier le louer : « Il est impossible de voir quelque chose de plus rugueux, de plus farouche, de plus hérissé, de plus inculte ; eh bien ! ce mortier, ce gâchis épais à retenir la brosse, est d’une localité excellente, d’un ton fin et chaud quand on se recule à trois pas. Ce vanneur qui soulève son van de son genou déguenillé, et fait monter dans l’air, au milieu d’une colonne de poussière dorée, le grain de sa corbeille, se cambre de la manière la plus magistrale. » Mais ce tableau peint en 1848 est bien aussi un tableau de 1848. Gautier le sait bien, lorsqu’il ironise : « La peinture de M. Millet a tout ce qu’il faut pour horripiler les bourgeois à menton glabre », et Ledru-Rollin aussi, ministre de l’Intérieur, lorsqu’il l’achète, immédiatement, 500 francs ! C’est que jamais encore l’identité sociale du paysan – travailleur de la terre – n’avait été ainsi présentée.

Avec Un vanneur, Millet avait trouvé son héros, le paysan, et son décor, la nature. Les modernes saluèrent cette œuvre, dont le jeune Courbet qui s’en souviendra lorsqu’il peindra Les Casseurs de pierre. On salua l’effet de réel : « On peut se croire dans l’aire de la grange, quand le vanneur secoue le grain, fait voler les paillettes, et que l’atmosphère se remplit d’une poussière fine à travers laquelle on entrevoit confusément les objets. » Cependant, la beauté simple et simplificatrice de ce vanneur devait en faire le type même du vanneur, tout comme les bergères, les glaneuses, les laboureurs de Millet allaient être comme les membres d’une galerie typologique de la vie rurale à son apogée, ce qui explique que puisse se poser sur cette œuvre un regard quasi ethnologique. On vit ce vanneur, tout comme les autres paysans de Millet, comme « un autre », dont on pouvait étudier le costume, le geste, la physionomie, mais sur lequel on portait, sans toujours le savoir, un jugement qui, au-delà de l’esthétique, ne répondait finalement qu’à ses propres espoirs ou à ses propres craintes face au monde paysan.

Caroline et Richard BRETTEL Les Peintres et le paysan au XIXe siècle Genève, Skira, 1983.Georges DUBY et Armand WALLON (dir.) Histoire de la France rurale , tome III « Apogée et crise de la civilisation paysanne, 1789-1914 »Paris, Seuil, 1976.Geneviève LACAMBRE, (dir.) Millet et son temps , Colloque de Cerisy, octobre 2000à paraître.

Chantal GEORGEL, « Le paysan entre en Histoire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/paysan-entre-histoire

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Une cour de ferme au XVIII<sup>e</sup> siècle

Une cour de ferme au XVIIIe siècle

La crise morale d’un artiste

Le tableau intitulé Cour de ferme de Nicolas-Bernard Lépicié (1735-1784) est réalisé à un moment délicat dans la vie…

La construction du folklore français

La construction du folklore français

Ces quatre dessins sont exemplaires du grand intérêt pour les costumes traditionnels locaux qui apparaît en Europe dans la première moitié du XIX…

La construction du folklore français
La construction du folklore français
La construction du folklore français
Le travail à domicile

Le travail à domicile

Accepté au Salon du printemps 1888, Le Tisserand valut à son auteur, le peintre et théoricien[1] Paul Sérusier, une mention lors de l’attribution…

Le Gâteau des rois

Le Gâteau des rois

En 1774, au moment où il compose le tableau intitulé Le gâteau des rois, Jean-Baptiste Greuze est un artiste renommé auprès du public. Plusieurs…

La paysannerie et le progrès social

La paysannerie et le progrès social

Au milieu du XIXe siècle, le département du Doubs, où se trouvent Flagey et Ornans, village natal de Courbet, est majoritairement…

Le travail aux champs

Le travail aux champs

La représentation du labeur paysan par le biais de figures grandeur nature, autrefois réservées à la peinture d’histoire, est une des nouveautés…

Le travail aux champs
Le travail aux champs
Le travail aux champs
Portrait du père Gérard

Portrait du père Gérard

Réunis à Versailles le 5 mai 1789 dans le cadre des états généraux, les députés du tiers état se déclarent Assemblée nationale constituante le 9…

Une œuvre naturaliste

Une œuvre naturaliste

Lorsque l’artiste prend ses distances vis-à-vis du portrait officiel ou de commande, il peut élever comme ici un portrait anodin au rang d’icône…

Le mythe du soldat-laboureur

Le mythe du soldat-laboureur

Un mythe tenace, transmis par des chansons, des vaudevilles et des gravures, prétend qu’après avoir combattu en héros dans les armées…
Le monde paysan au XVII<sup>e</sup> siècle

Le monde paysan au XVIIe siècle

Les frères Le Nain et la paroisse Saint-Sulpice

Ce grand tableau fut réalisé à la fin du règne de Louis XIII, comme l’atteste l’inscription «…