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Monsieur et Madame Toujours-Soif en belle humeur

Monsieur et Madame Toujours-Soif en belle humeur

Date de création : 1830-1837

H. : 36 cm

L. : 56 cm

Titre complet : "Monsieur et Madame Toujours-Soif en belle humeur, Jean Toujours-Soif, capitaine de l'invincible compagnie des buveurs de bière, madame Toujours-Soif, née du Café, présidente de la société des soeurs de la Cafetière".

Bois de fil, estampe coloriée, pochoir, vergé.

Éditeur : Deckherr (Montbéliard)

Domaine : Estampes-Gravures

© RMN-Grand Palais (MuCEM) / Jean-Gilles Berizzi

Lien vers l'image

Inv.77.80.44D - 04-001279

Les Stéréotypes du buveur

Date de publication : Janvier 2006

Auteur : Myriam TSIKOUNAS

Montbéliard fut, entre 1800 et 1850, l’une des capitales de l’imagerie populaire, au même titre qu’Épinal ou Wissembourg. Les frères de Deckherr, qui ont produit M.r et M.me TOUJOURSSOIF en belle Humeur, tenaient boutique dans cette ville. Ils étaient également imprimeurs de l’autre côté de la frontière, à Porrentruy. Alors qu’en Suisse ils confectionnaient les très sérieux imprimés officiels de l’administration et le Journal du Jura, dans le Doubs, par contre, ils s’étaient spécialisés dans l’édition à bon marché et moralisante. Ils y fabriquèrent, jusqu’en 1850 – année où l’imprimerie fut détruite par un incendie – des histoires naturelles et des vies de saints, des almanachs et des livres de prière, des abécédaires illustrés présentant les arts et métiers de façon très codifiée. Ils réalisèrent aussi quelques gravures sur bois humoristiques comme celle-ci.

Les contraintes d’une fabrication bon marché entraînent une utilisation originale des rapports entre texte et iconographie.

Pour prouver au spectateur que l’intempérant est dépensier et ruine sa famille, le panneau sur lequel sont retranscrits les propos du personnage affirme « En buvant tout de mon vivant, qu’ai-je à faire d’un testament ? ». Parallèlement, l’estampe montre un carreau cassé.

Par le truchement d’un poème tout en rimes embrassées et en octosyllabes, Jean Toujours-Soif dit « chaque jour vidant douze pots » être « gai, dispos et d’un embonpoint respectable ». À l’image le buveur subit les effets de l’alcool sur son corps. Il a pris la couleur jaune d’or de la bière, il est rond au sens propre avec son chapeau posé de travers sur sa tête et son gilet déboutonné sur son énorme ventre ; il ressemble aux contenants brassicoles : il est ventru comme un muid ou une barrique. Il tient une chope dans une main et une pipe dans l’autre pour rappeler que l’âcreté du tabac se marie naturellement bien avec l’amertume de la bière.

À la différence de son mari, madame Toujours-Soif, qui « ne boit ni bière, ni vin, Mais le café, soir et matin », est élégante, bien coiffée et assise très droite sur son siège.

Dans cette gravure destinée à une diffusion massive, l’artiste dénonce, par l’humour, les effets de l’abus d’alcool. Mais pourquoi choisit-il de montrer un buveur de bière et non de vin, alors que, tout au long du XIXe siècle, le marché de la bière ne s’étend que faiblement au-delà des régions frontalières du Nord et de l’Est ? Vraisemblablement parce que, installé en Franche-Comté, il s’adresse en priorité à une clientèle régionale. Peut-être aussi parce que, à partir des années 1830, la bière, moins alcoolisée que le vin, commence à bénéficier de préjugés favorables et se voit assimilée à une panacée qui nourrit, « étanche la soif » et possède des vertus diurétiques.

Le café, introduit en France sous Louis XIV, est lui aussi, au XIXe siècle, paré de toutes les vertus. Boisson préférée de Napoléon, le « caoua », qui accroît l’endurance en retardant l’apparition de la sensation de fatigue et favorise les tâches intellectuelles, devient l’envers de l’alcool. Si, contre toute attente, il est ici critiqué, c’est peut-être parce que, au moment même où cette image est fabriquée par les frères de Deckherr, une nouvelle croyance se fait jour, véhiculée par des médecins misogynes et popularisée par l’historien Jules Michelet. Selon cette légende, cette « sobre liqueur, puissamment cérébrale », en rendant les élites tempérantes, aurait certes stimulé les Encyclopédistes… mais elle aurait également contribué à éloigner les femmes, qui ne peuvent plus s’en passer, de l’amour et de la vie de famille. Ainsi Madame Toujours-Soif, qui prétend que le café lui est « indispensable » se demande : « Plutôt tous les hommes haïr, Que la tasse de Café fuir ? »

Dominique LERCH, Almanachs, bibliothèque bleue, imagerie, in Bulletin de la Société d’émulation de Montbéliard, n° 112, 1990, p.197-295.

Jules MICHELET, Histoire de France, tome XVII, Paris, Lacroix et Cie éditeurs, 1877 (rééd.Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998).

Antoine MONAQUE, L’illustration dans les abécédaires imprimés par les Deckherr à Porrentruy et Montbéliard (1810-1860), in Bibliothèque de l’École des chartes, tome 158, 2000.

Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.

Myriam TSIKOUNAS, « Les Stéréotypes du buveur », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/stereotypes-buveur

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