Aller au contenu principal
Le Pigall's.

Le Pigall's.

Place blanche.

Place blanche.

Le Pigall's.

Le Pigall's.

Date de création : 1925

Date représentée : 1925

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© Photothèque des Musées de la Ville de Paris - Cliché Habouzit

90 CAR 1200 (A2)

Les « Années folles »

Date de publication : Octobre 2006

Auteur : Alexandre SUMPF

Montmartre, cœur des années folles

Deux places mythiques de la nuit parisienne ponctuent le boulevard de Clichy, qui sert de déambulatoire à la butte Montmartre : la place Blanche, chantée par Jacques Dutronc et dominée depuis 1889 par les ailes du Moulin-Rouge ; et la place Pigalle, non moins sulfureuse et peuplée de cabarets. Le Pigall’s, au numéro 7, y a succédé au Rat Mort, ancien café de la bohème fréquenté notamment par Degas, Manet ou Courbet.

À la Belle Époque, ces lieux en marge du Paris bourgeois étaient encore assez champêtres, plutôt artistes et « canailles ». C’est avant 1914 que Montmartre connaît son apogée et construit sa légende. Après guerre, ces anciens faubourgs sont au centre de la « nuit parisienne » si caractéristique des années folles : une partie de la société veut oublier les centaines de milliers de morts et les privations de la Grande Guerre. Au lieu du deuil, la fête ; à la pénurie passée, on répond par l’abondance et l’exubérance ; à l’enlisement dans l’effort de guerre, on préfère la libération des corps et des esprits ; à une époque de ténèbres doit succéder une illumination perpétuelle.

Pigalle, symbole du luxe de la nuit, entre insouciance et mystère

Pierre Sicard peint en 1925 Le Pigall’s, œuvre qui apparaît comme une tentative assez réussie de résumer d’un ample mouvement pictural l’esprit des années folles. La composition s’appuie sur un fondu subtil du premier plan à l’arrière-plan. La tablée centrale, archétype des tableaux de ce genre, est encadrée par deux couples féminins : celui de gauche, garçonnes agressives, défie du regard celui de droite, plus pudique et intime. D’autres couples sont soit assis, au deuxième et au troisième plan, soit étroitement enlacés dans la foule qui danse. L’omniprésence de la couleur noire des fracs souligne l’explosion de couleurs qui évoque une fête permanente : les robes, les plumes des coiffes indiennes, les rubans qui volent. La tonalité générale opte pour la dorure et un rose satiné qui n’est pas sans rappeler la couleur de la sensualité que Proust attribue à Gilberte. Dans l’instantané quasi photographique de Sicard, la récurrence des bras nus tendus connote une lascivité orientale tout en participant au mouvement d’ensemble rythmé par les musiciens qui vibrent sur la scène, en fond de décor.

Place Blanche, peint en 1928, fait partie des œuvres majeures de Marcel Gromaire. Au titre fait immédiatement écho la carnation de la figure féminine assez ambiguë qui occupe le centre de la composition. Moins « blanche » que ne l’est le boa exubérant qui découvre ses épaules ou que les rangs de perles qui soulignent sa silhouette, sa nudité, accentuée par la dégradation du rose pâle de la robe, symbolise la « place » au cœur du tableau. Tout le reste n’est que décor – à commencer par les deux personnages masculins qui entourent la jeune femme. Juste derrière elle, comme son ombre, l’enlace une masse noire où se découpe à peine un profil, caricature d’homme. Plus en retrait, à gauche, un groom disparaît derrière son costume et sa fonction. Enfin, à l’arrière-plan, Gromaire fait rimer « bar » avec « Par(is) » et utilise quelques lignes géométriques pour dresser une scène nocturne à la fois romantique (le clair de lune nimbé de nuages) et électrique (les néons de couleur). Seul le corps de la jeune femme dégage une lumière « naturelle » dans ce paysage artificiel de la nuit parisienne et en irradie concentriquement les autres éléments.

 

Folie incandescente ou folie électrique

Les deux peintres appartiennent à deux générations successives marquées par une culture picturale et un vécu de la guerre forcément dissemblables. Marcel Gromaire (1892-1971), l’aîné des deux, est né dans le nord de la France ; il expose à Paris au Salon des Indépendants dès 1911, reçoit alors les conseils de Matisse et se passionne pour les primitifs flamands. Appelé pour le service militaire en 1913, il est directement mobilisé en 1914 et reste soldat jusqu’en 1919. Comme beaucoup d’autres, il a été blessé en 1916. Sa première exposition personnelle, en 1921, révèle un peintre expressionniste sensible à la ville et à l’homme qui y vit. Il utilise une palette très sombre. Il faut attendre la fin des années 1920 pour que Gromaire retrouve les couleurs vives, comme dans son tableau Place Blanche, qui associe le Paris nocturne au nu féminin. La figure féminine centrale, statue et flamme à la fois, incarne ainsi la nuit incandescente des années folles de Montmartre.

Pierre Sicard (1900-1980) est le fils du sculpteur François Sicard. Trop jeune pour participer au conflit, il est toutefois assez âgé pour ressentir pleinement cette période d’épreuves. Après avoir collaboré un temps avec son père, il se consacre à la peinture et expose pour la première fois en 1924, à Paris. Son œuvre, de style plutôt postimpressionniste, est marquée par le thème récurrent de la nuit parisienne, de ses bars, de ses music-halls. Il a par exemple peint les performances de la Revue nègre avec Joséphine Baker. Le Pigall’s, propriété du musée Carnavalet, est d’ailleurs souvent prêté pour des expositions ayant trait au Paris des années folles. Au contraire de Gromaire, Sicard choisit pour sa toile une lumière électrique a giorno, aveuglante, tout en mobilité et en légèreté – en somme, une autre vision de la femme, non moins moderne.

François GROMAIRE, Marcel Gromaire.La vie et l’œuvre, catalogue raisonné des peintures, Paris, Bibliothèque des arts, 1993.Jean-Jacques LÉVÊQUE, Le Triomphe de l’art moderne.Les années folles, Courbevoie, A.C.R., 1992.Pierre Sicard.Du Paris des années folles au Paris de naguère, catalogue de l’exposition du musée Carnavalet, 4 septembre-31 octobre 1981, Paris, Musées de la Ville de Paris, 1981.

Alexandre SUMPF, « Les « Années folles » », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/annees-folles

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Les « Années folles »

Les « Années folles »

Montmartre, cœur des années folles

Deux places mythiques de la nuit parisienne ponctuent le boulevard de Clichy, qui sert de déambulatoire à la…

Les « Années folles »
Les « Années folles »
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme

Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme

Une icône de beauté angélique

À la Belle Époque, sous l’influence du décadentisme et du symbolisme, hédonisme et spiritualité se côtoient :…

Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la <i>Petite danseuse de 14 ans</i>

Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la Petite danseuse de 14 ans

Mieux connu par son œuvre de dessinateur et de peintre, Degas est aussi un sculpteur prolifique : à sa mort, en 1917, il laisse dans son atelier…

Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la <i>Petite danseuse de 14 ans</i>
Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la <i>Petite danseuse de 14 ans</i>
Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la <i>Petite danseuse de 14 ans</i>
Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la <i>Petite danseuse de 14 ans</i>
Les ballets russes

Les ballets russes

En 1898, Serge de Diaghilev fonde « Le Monde de l’art », association puis revue regroupant plusieurs artistes qui, en marge de l’académisme…

Les ballets russes
Les ballets russes
Les ballets russes
Les ballets russes
Degas et la célébration de la danse féminine à l'Opéra

Degas et la célébration de la danse féminine à l'Opéra

« Peintre des danseuses » : ainsi Manet définit-il Degas dans une lettre adressée à Fantin-Latour en 1868, anticipant d’une dizaine d’années le…

Degas et la célébration de la danse féminine à l'Opéra
Degas et la célébration de la danse féminine à l'Opéra
Jean-Étienne Despréaux et le renouveau de la danse

Jean-Étienne Despréaux et le renouveau de la danse

C’est grâce à Joséphine de Beauharnais que Jean-Étienne Despréaux (1748-1820), ancien danseur et maître à danser de l’Académie royale de musique (…

Marie-Madeleine Guimard et le ballet français du XVIII<sup>e</sup> siècle redécouverts

Marie-Madeleine Guimard et le ballet français du XVIIIe siècle redécouverts

L’esprit galant du XVIIIe siècle et ses protagonistes reviennent à la mode dans la seconde moitié du XIXe siècle : les…

Marie-Madeleine Guimard et le ballet français du XVIII<sup>e</sup> siècle redécouverts
Marie-Madeleine Guimard et le ballet français du XVIII<sup>e</sup> siècle redécouverts
Le bal, une pratique sociale

Le bal, une pratique sociale

Le siècle de la « dansomanie »

Au XIXe siècle, le bal fait partie, selon des modalités variées, des loisirs de toutes les couches de la…

Le bal, une pratique sociale
Le bal, une pratique sociale
Le bal, une pratique sociale
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle

Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIXe siècle

Indispensable pour s’échauffer, pour apprendre le bon placement du corps et pour faire travailler correctement les muscles dans les positions qui…

Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
La fascination pour le Cambodge au début du XX<sup>e</sup> siècle

La fascination pour le Cambodge au début du XXe siècle

Le Cambodge à l’Exposition coloniale de Marseille

Entre le 15 avril et le 18 novembre 1906 se tient à Marseille, porte de l’Orient, la première…