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La Nuit de Nogent

La Nuit de Nogent

Auteur : BERAUD Jean

Date de création : 1913

Date représentée : 15 mai 1912

Huile sur toile. Photographie du tableau de François Vizzanova.

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais - F. Vizzavona

http://www.photo.rmn.fr

97-005113 - VZD1210

La « bataille » de Nogent, 14 mai 1912

Date de publication : Juillet 2008

Auteur : François BOULOC

La traque touche à sa fin

A la fin du mois d’avril 1912, Jules Bonnot est définitivement mis hors d’état de nuire à Choisy-le-Roi. A ce stade, la « bande à Bonnot », qui a fait une entrée fracassante dans l’espace public et l’ordre républicain en décembre de l’année précédente, est à peu près démantelée. Les « bandits en auto » et leurs complices réels ou supposés sont en effet soit décédés, soit sous les verrous. Seuls deux d’entre eux, Octave Garnier et André Valet, dit « Poil de carotte » courent encore. Leur portrait et leur parcours présentent une certaine similarité, notamment quant au crescendo de leur implication dans les menées anarchisantes. Garnier, âgé de 22 ans en 1912, est issu d’un milieu modeste et a été terrassier, puis délégué CGT. Cette expérience le détourne du syndicalisme, qu’il appelle le « poirisme », façon de dire que cette forme d’organisation ne contribue guère à préparer la révolution. C’est en fréquentant les milieux illégalistes qu’il va faire la connaissance de ses futurs complices, dont celui qui sera auprès de lui à l’heure ultime. Valet, donc, sensiblement du même âge, provient d’un milieu bourgeois. Bon élève, il semble promis à une vie respectable. Mais il se tourne vers les idées révolutionnaires dès son adolescence, et écrit dans Le Libertaire avant de devenir insoumis : pour lui aussi, la limite de l’illégalité est tôt franchie. Ces deux hommes vont le 14 mai 1912 subir toute la puissance de répression des forces de police, à vif depuis la mort du sous-chef de la Sûreté, tombé trois semaines auparavant sous les balles de Bonnot.

Aux grands maux les grands remèdes

Alors que les enquêteurs peinent à rassembler des éléments probants pour localiser Garnier et Valet, survient une dénonciation bien moins fantaisiste que maintes autres déjà reçues par la police. Un commerçant de Nogent assure avoir repéré deux hommes jeunes aux cheveux teints, vivant reclus accompagnés d’une ou deux femmes. Les recoupements rapidement effectués permettent à la police de découvrir que Valet et Garnier coulent des jours paisibles en bord de Marne, dans une clandestinité agrémentée de la végétation printanière, que la lumière des torches à acétylène permet d’entrevoir sur le document. Ils font de la gymnastique, lisent, tout en ne s’éloignant pas du petit arsenal destiné à accueillir les forces de l’ordre. Celles-ci se massent à proximité en fin d’après-midi, pour atteindre le chiffre de cinq cents hommes en armes, dont des zouaves (homme au costume typique au premier plan à droite) : cette foule, augmentée de nombreux badauds, va veiller jusque tard dans la nuit. Le peintre, Jean Béraud, est familier, entre autres, des compositions ayant pour thème la rue et son activité à la Belle Epoque (Boulevard Saint-Denis ou Boulevard des Capucines, par exemple). Issu du courant naturaliste, il excelle à rendre une vue générale ponctuée de postures singulières d’une grande acuité. Le tableau est réalisé à chaud par rapport à l’événement, puisqu’il est présenté en 1913, l’année qui suit les faits en question. Le rendu très mobile et animé de l’ensemble permet à ce titre de parler d’une tentative réussie de peinture de l’actualité. La version présentée est la photographie de l’œuvre réalisée par François Vizzanova, photographe officiel du Salon des Artistes français de la Société Nationale des Beaux-Arts, dont Béraud est un familier. L’effet choisi par l’artiste, s’il est classique, est efficace pour rendre le caractère à la fois massif et enfiévré de l’attroupement : suite au premier plan où des agents sont affairés à contenir le rassemblement, un flou progressif est assez subtilement installé. Cela rend indiscernable l’étendue d’un rassemblement ainsi porté à perte de vue, la foule se muant alors en une sorte de meute allant à la curée. C’est que le coup de filet est une attraction courue, et la variété des curieux au premier plan en atteste : les femmes du voisinage en robes de chambre voisinent avec des ouvriers tels celui empoigné par la police (au centre) ou des bourgeois en haut-de-forme (en bas à droite). La fusillade éclate rapidement, mais les hommes du préfet Lépine échouent devant l’obstination des assiégés, même en tentant de jeter des explosifs sur le toit de la maison depuis le haut du viaduc ferroviaire que l’on discerne à l’arrière-plan. Finalement, ce n’est que vers deux heures du matin, après plus de huit heures de siège, qu’une grosse charge explosive désintègre partiellement l’habitation. Les deux corps inertes sont transportés à grand peine par les agents (au centre), la foule voulant à tout prix les approcher.

Le banditisme attire les foules

Dans le rapport de police cité par MAITRON (Ravachol et les anarchistes, Julliard, p.177), il est écrit : « A la nouvelle de la capture des malfaiteurs une joie féroce éclate parmi les milliers de spectateurs accourus durant les heures de siège et se traduit par des acclamations aux zouaves, à la police et des cris de mort contre Garnier et Valet ». Si, sur place et à chaud, une réelle approbation de la manière dont les malfaiteurs ont été appréhendés est palpable, il n’en va pas de même dans l’ensemble de la population. Plusieurs journaux s’en font l’écho, en mettant directement en cause les procédés policiers, sans pour autant se solidariser avec Garnier et Valet. L’Humanité, en date du 16 mai 1912, donne un bon aperçu de cette façon de voir les choses, ne voulant « chercher aucune excuse pour les bandits », dont la « défense farouche même ne saurait éveiller en nous le moindre germe de sympathie ». Mais la violation des principes élémentaires de l’état de droit apparaît trop flagrante, et une interrogation se fait jour : « »La Justice » ? Que devient-elle en cette affaire ? (…) s’il ne s’agit plus de justice mais de vendetta ; si la police qui se venge se donne en exemple au particulier qui se fait justice lui-même ». Une même perplexité a pu naître à d’autres époques, devant des événements similaires, que l’on pense par exemple à la fin de Jacques Mesrine. Dans ce dernier cas, comme pour Bonnot et consorts, des individus se sont placés en position-limite vis-à-vis de la société, venant provoquer avec acuité le respect de ses valeurs fondatrices, dont le droit à un jugement réglé et équitable pour chacun quels que soient ses actes. La pensée anarchiste dira ici que de tels faits ont le mérite de révéler la nature répressive de l’Etat, tandis que les tenants de la démocratie libérale s’interrogeront sur les réponses à apporter à de telles menaces, interrogations auxquelles la guerre contre le terrorisme rend de nos jours encore un singulier écho.

Renaud THOMAZO, « Mort aux bourgeois ! » Sur les traces de la bande à Bonnot, Paris, Larousse, 2007.

François BOULOC, « La « bataille » de Nogent, 14 mai 1912 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/bataille-nogent-14-mai-1912

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