Aller au contenu principal
La décadence de la crinoline.

La décadence de la crinoline.

Date représentée :

H. : 46,6 cm

L. : 36,6 cm

Lithographie coloriée produite à Wissembourg.

Domaine : Estampes-Gravures

© Photo RMN - Grand Palais - G. Blot

http://www.photo.rmn.fr

04-509604 / 53.86.4877 D

La crinoline dans tous ses états

Date de publication : Septembre 2007

Auteur : Julien NEUTRES

Sous le Second Empire, les jupons superposés (jusqu’à six ou sept) laissent place au jupon à cerceaux, avatar de la crinoline. Mais cette nouvelle crinoline est beaucoup plus élaborée techniquement que le vertugadin du XVIe siècle et nettement plus légère que les paniers du XVIIIe. Le jupon est structuré par plusieurs cerceaux métalliques souples, cousus dans le tissu ou accrochés autour de la taille par un système de cordons. Dessus, on enfile la robe « à deux ou trois jupes », alourdie de drapés. Le retour de la mode de la crinoline vers 1855 apporte aux femmes un nouveau bien-être. Elles ne sont plus entravées dans leurs mouvements par d’innombrables jupons et peuvent au moins remuer les jambes librement sous leur cage métallique. Mais, à l’usage, la crinoline se révèle porteuse d’autres menaces. Elle devient alors un sujet d’étude pour les caricaturistes.

Œuvre d’un caricaturiste anonyme, cette lithographie du Second Empire est exemplaire de ce que les journaux proposaient alors couramment à leurs lecteurs. Son auteur ouvre cette suite de scènes sur le « Dernier triomphe de la crinoline » où il montre une femme vêtue d’une robe imposante et une petite fille habillée elle aussi de jupons à crinoline et de culottes. Dans la dernière vignette, « La crinoline définitivement chassée par la mode du Ier Empire », il oppose frontalement cette mode vestimentaire à celle qui, en partie, la supplantera. Ces deux vignettes fonctionnent ainsi comme les première et quatrième de couverture de l’œuvre, mais elles établissent aussi une chronologie, les vignettes intermédiaires ayant pour rôle d’annoncer, sur le ton de la satire, la disparition de la crinoline.
Le dessinateur se moque d’abord de ce vêtement élitiste en le faisant porter par des hommes, qui s’en sont affublés pour le carnaval, ou par une jeune fille noire surnommée « Boule de neige » symbolique de la classe sociale la plus basse. Il s’amuse avec la forme de la crinoline, qui concurrencerait celle du dromadaire, puis pointe quelques risques inhérents à son volume : en pareille tenue, difficile de monter dans une diligence sans encombrer la voie publique et s’attirer les remontrances d’un gendarme. En outre, ce fardeau peut facilement s’enflammer, ce qui nécessiterait l’intervention des pompiers. La disparition annoncée de la crinoline l’amène ensuite à en imaginer le « recyclage » : abandonnées sur la voie publique, les crinolines sont utilisées par des paysans comme épouvantail ou bradées à la pesée. Enfin, le caricaturiste ne manque pas de relever l’ambiguïté de cette tenue : le diable lui-même s’habille en crinoline ou attise le feu sous la jupe. Garante d’une conduite irréprochable, véritable enceinte dressée autour de la femme, elle est aussi à l’évidence un instrument de séduction. « La crinoline est impertinente, écrit un chroniqueur. Impertinente par sa taille, par ce défi monstrueux contre l’homme. À celui qui s’approche la crinoline semble dire : « Voulez-vous bien descendre de ce trottoir ou allez-vous avoir l’audace de me frôler en passant, de vous serrer contre moi ? » »

Du jeu visuel au détournement, de l’observation critique au jugement moral, d’événements réalistes à des situations imaginaires, la charge met en relief certains comportements de la bourgeoisie du Second Empire à travers la mise en scène du vêtement féminin le plus symbolique du régime. Les critiques contre la crinoline existent, relayées par des femmes opposées à ces tenues bouffantes : « Les jupes d’une ampleur modérée étaient désirées par quelques femmes réellement bien faites, mais la majorité des tailles défectueuses l’a emporté (T. de Beutzen, « La mode », in L’Illustration, 16 juin 1860). » Les caricatures de Cham, de Bertall, de Daumier, transforment les robes « trop » larges en autant de fardeaux : robes qui heurtent les passants, brûlent au contact des cheminées, se prennent sous les roues des véhicules. L’artifice « contraignant » se maintient pourtant encore dans les années 1860, favorisant un profil décoratif et figé, alors que l’enjeu porte sur les formes autant que sur la liberté.

La crinoline suscite donc la polémique. On débat de ses vertus, de ses dangers, de son hypocrisie. Elle subira plusieurs modifications, et sa vogue durera environ une quinzaine d’années. Symbole des fastes du Second Empire, elle s’effondrera avec lui. La République, elle, ne jure que par le fameux « cul de Paris », accessoire appelé aussi « tournure », qui consiste en un rembourrage porté sous la robe au bas du dos.

François-Marie GRAU, Histoire du costume, Paris, P.U.F., 1999.James LAVER, Histoire de la mode et du costume, Paris, Thames & Hudson, 2003.Michelle PERROT et Geneviève FRAISSE (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome IV, « Le XIXe siècle », Paris, Plon, 1991.Georges VIGARELLO, Histoire de la beauté, Paris, Le Seuil, 2004.

Julien NEUTRES, « La crinoline dans tous ses états », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/crinoline-tous-ses-etats

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Un pamphlet contre l'aristocratie

Un pamphlet contre l'aristocratie

La hantise du complot aristocratique

En 1789, un mécontentement général contre la réaction seigneuriale s’ajoute à la vive effervescence…

Un pamphlet contre l'aristocratie
Un pamphlet contre l'aristocratie
Nadar, l’art et la photographie

Nadar, l’art et la photographie

La photographie prend son envol

Le tournant des années 1850-1860 marque une étape cruciale quoiqu’en partie méconnue dans l’histoire de la…

Ravachol

Ravachol

La « propagande par le fait » dans les années 1890

Dans les années 1880, l’anarchisme incarne l’opposition la plus radicale à la IIIe

Ravachol
Ravachol
La dénonciation de la société d’ordres

La dénonciation de la société d’ordres

L’année 1789

Face à la fronde des parlements et à la crise financière, Louis XVI n’a d’autre choix que de convoquer le 8 août 1788 les états…

Portraits-charges des célébrités du juste milieu

Portraits-charges des célébrités du juste milieu

Les bustes-charges des “ Célébrités du juste milieu ” et les lithographies qui en découlent remontent aux débuts de la monarchie de Juillet. Leur…

Portraits-charges des célébrités du juste milieu
Portraits-charges des célébrités du juste milieu
Portraits-charges des célébrités du juste milieu
Portraits-charges des célébrités du juste milieu
La Troïka

La Troïka

Cette caricature est extraite de Gringoire, hebdomadaire de droite extrême (1928-1944) dominé par son éditorialiste, Henri Béraud. Le journal, qui…

La traite illégale

La traite illégale

Réprimer la traite

Avant que n’éclate la Révolution en France, l’Angleterre et la France pratiquaient toutes deux la traite des Noirs. Au début…

La traite illégale
La traite illégale
Gargantua

Gargantua

Alors que le peuple de Paris attendait des journées de juillet 1830 le rétablissement de la République, les députés et les journalistes…

Le peuple mangeur de rois

Le peuple mangeur de rois

La Révolution française, période privilégiée pour les caricatures politiques, multiplie le recours aux allégories mythologiques malgré le décalage…

Critique de la monarchie de Juillet, les espoirs déçus de 1830

Critique de la monarchie de Juillet, les espoirs déçus de 1830

Après l’attentat à la « machine infernale » commis le 28 juillet 1835 par le conspirateur Giuseppe Fieschi contre Louis-Philippe et sa suite, qui…