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Dix Ans de Guerre ou la Grande Duperie Bourgeoise.

Dix Ans de Guerre ou la Grande Duperie Bourgeoise.

Date de création : 1924

Date représentée : 1924

Domaine : Affiches

© ADAGP, © Bibliothèque de documentation internationale contemporaine / MHC

http://www.bdic.fr

Jules Grandjouan

Date de publication : Avril 2007

Auteur : Alexandre SUMPF

Premières élections pour les communistes français

La guerre, « catalyseur de l’histoire » selon les termes de Lénine, a profondément bouleversé l’équilibre mondial, l’ordre européen et la vie politique française. La révolution bolchevique d’octobre 1917, au cœur d’un conflit qui n’en finit plus, a redonné l’espoir à des populations durement mises à l’épreuve. L’échec de la IIe Internationale socialiste à empêcher la guerre, le climat social particulièrement tendu au moment de la victoire et l’aspiration à une autre société, plus juste et démocratique, expliquent en partie le succès des vingt et une conditions posées par Lénine en 1920 pour l’admission à l’Internationale communiste (IIIe Internationale). En décembre 1920, la majeure partie des délégués du congrès de Tours vote la naissance de la S.F.I.C., laissant la S.F.I.O. exsangue. Mais l’essentiel des élus reste aux côtés de Léon Blum. Les communistes français, qui diminuent de moitié entre 1920 et 1924 et deviennent plus ouvriers, doivent à présent conquérir l’opinion publique. Pour ce faire, ils disposent d’un capital de sympathie dans les milieux intellectuels et artistiques, qui ne se démentira pas de sitôt. C’est le cas du dessinateur Jules Grandjouan (1875-1968), fameux pour ses provocations antibourgeoises, notamment dans L’Assiette au beurre.

L’histoire revisitée

Les dix vignettes dessinées par Grandjouan composent un calendrier décennal qui frappe autant par l’effet de répétition que par les différences. Chaque image de la série comporte deux personnages, opposant systématiquement le peuple (le soldat) et ses dirigeants (Poincaré, Albert Thomas, Clemenceau). De 1914 à 1917, le combattant figure au-dessus du dirigeant ; les années suivantes, après les mutineries de 1917, il lui est au contraire explicitement soumis par la contrainte. Poincaré symbolise trois fois cette oppression, grimé en président de la République (1914), en capitaliste (1915), en « planqué de l’arrière » (1917). Clemenceau, avec sa barbiche blanche, lui ressemble physiquement, comme pour dévoiler le mensonge de la démocratie « bourgeoise ». Les mains de Clemenceau touchent le combattant à différents endroits, surtout le dos (lâcheté) et le cou (domination), et jouent avec le fusil entre 1919 et 1921. Quant au personnage du soldat, il est tour à tour confiant, combattant, hagard, percé de balles, au bord de la tombe, menaçant, désemparé, invalide, miséreux, et envahisseur malgré lui. Le jeu des attitudes, l’emploi de la couleur rouge et de la décoloration, les changements de coiffe (calot, casque, bandages, képi, feutre mou) rendent particulièrement impressionnante cette histoire du peuple sur le front militaire et politique.

Pédagogie de masse, pédagogie de classe

Les titres des vignettes et les courts bouts-rimés qui les commentent ne laissent aucun doute au lecteur : les communistes dénoncent férocement la « Grande Duperie bourgeoise » qu’a été la guerre impérialiste. À chaque fois, les deux vers scandent la ritournelle trompeuse de la « bourgeoisie » dénoncée ici par Grandjouan. Le jeu de mains de Poincaré est remarquable, tant il symbolise les illusions déçues des combattants : le Président indique deux directions au début de la guerre (le front et l’arrière), il fait ensuite offrande de munitions et enfin répand les rumeurs (au lieu de tendre une main secourable). Seule l’année 1919 rompt avec cette tromperie généralisée. Le soldat menaçant dressé au-dessus de Clemenceau symbolise un peuple qui ne désarme pas en dépit de la démobilisation et qui finit par obtenir l’une des principales revendications ouvrières : la journée de huit heures de travail. Mais le jeu de dupes reprend ensuite de plus belle : la paix sociale est imposée, les Réparations dissimulent la reprise de l’exploitation économique. En 1923, à la veille des élections et après l’invasion de la Ruhr, Poincaré est rejoint par le socialiste Blum et le radical Herriot. Pour Grandjouan, la classe ouvrière n’a donc qu’un seul recours – le parti communiste, pour lequel il dessine d’ailleurs six autres affiches, dont une reprenant le fameux couteau entre les dents (« Ah, ton couteau pour nous délivrer ! »). La lutte continue. Les masses sont appelées aux urnes pour renverser le cours de l’histoire.

Maurice AGULHON, La République, tome II, « 1932 à nos jours », Paris, Hachette, coll. « Pluriel », nouvelle édition augmentée, 1990.Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrations, 1914-1929, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, tome II, « XXe siècle, à l’épreuve de l’histoire », Paris, La Découverte, 2004.Jules Grandjouan, créateur de l’affiche politique illustrée en France, catalogue de l’exposition à la Maison du livre et de l’affiche à Chaumont, Paris, Somogy, 2001.

Alexandre SUMPF, « Jules Grandjouan », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/jules-grandjouan

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