Aller au contenu principal
Paul Guillaume, Novo Pilota

Paul Guillaume, Novo Pilota

Lieu de conservation : musée de l’Orangerie (Paris)

Date de création : 1915

Date représentée : 1915

H. : 105 cm

L. : 75 cm

Huile sur carton.

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais - D. Arnaudet

http://www.photo.rmn.fr

98-008349 / RF1960-44

Marchand d'art moderne

Date de publication : Octobre 2005

Auteur : Philippe SAUNIER

Au service de l’art moderne

Lorsqu’au début de la guerre, Paul Guillaume ouvre sa première galerie, il bénéficie des conseils éclairés d’un poète et critique d’art très au fait des dernières évolutions et doté d’une intuition géniale, Guillaume Apollinaire. À ses côtés, le marchand prend goût à la jeune peinture et décide de s’en faire le champion. L’association, assez informelle, entre le critique et le marchand est emblématique : le premier contribue à lancer les artistes et la galerie par ses chroniques, tandis que le second prend les risques financiers. L’attitude est périlleuse, mais elle constitue un pari sur l’avenir, supposant un minimum de conviction et de confiance dans le talent des artistes qu’il défend (Chirico et Soutine sont de ceux-là). Mais Paul Guillaume n’est pas un simple marchand, constituant des collections en prévision de jours meilleurs ; il entreprend d’être le médiateur engagé et actif de l’art vivant. Comprenant la nécessité d’attirer l’attention sur ses poulains et de faire parler d’eux, il fait venir, à grand renfort de publicité, le Tout-Paris aux vernissages de sa galerie, ou encore organise de mémorables soirées où flotte parfois un parfum de scandale, mais censées rallier le public à sa cause : conférence d’Apollinaire avec accompagnement musical de Satie, exposition d’œuvres déjà surréalistes de Chirico en 1917 sur la scène du théâtre du Vieux-Colombier en 1918, ou « fête nègre » en clôture d’une exposition d’art africain et océanien la même année. Marchand, agent artistique, inventeur de talents, agitateur, Paul Guillaume est tout cela. La revue qu’il crée en 1918, Les Arts à Paris, est un organe de promotion de l’avant-garde autant qu’un outil d’autopublicité et ne cessera de paraître que quelques mois après sa mort en novembre 1934.

Un nouveau pilote

En 1915, le peintre et sculpteur d’origine italienne Amedeo Modigliani brosse le portrait d’un jeune homme bien mis, qui le fixe d’un air assuré et quelque peu désinvolte : Paul Guillaume, dont le nom figure en toutes lettres dans l’angle supérieur gauche, apparaît ici dans ses habits neufs de marchand débutant. Vêtu d’un costume noir qui tranche sur le blanc d’une chemise rehaussée d’une cravate au bleu profond, Paul Guillaume a gardé son chapeau, mais aussi ses gants de cuir ; la cigarette qu’il tient nonchalamment de la main gauche apporte une pointe de familiarité au dandysme de la pose. Le fond à peine esquissé, qui met en valeur le modèle, reflète le dépouillement de l’atelier de Modigliani à Montmartre. L’inscription « Novo Pilota » en bas du tableau traduit l’audace de ce personnage qui, alors âgé de vingt-trois ans comme les traits fins du visage et la discrète moustache le laissent deviner, entend prendre en main les rênes de sa destinée et de l’art moderne, à la manière d’un pilote automobile, avec un mélange d’assurance insouciante et de risque assumé. De fait, de 1914 jusqu’au début de 1916, Paul Guillaume est l’unique acheteur de Modigliani. Dans un contexte général de dénuement aggravé par la guerre, le marchand est son seul soutien, un soutien évidemment vital et courageux.

 

Innover

Paul Durand-Ruel (1831-1922) constitue incontestablement la figure tutélaire du marchand d’art engagé dans la promotion de l’art moderne, telle que Paul Guillaume l'incarne. Après avoir eu l’audace d’acheter la presque-totalité de la production de plusieurs peintres de l’école de Barbizon, il devint le principal marchand des peintres impressionnistes. Il fit ainsi passer sa conviction profonde avant ses intérêts financiers immédiats. Son jugement, sa patience, sa ténacité, lui donnèrent raison. Sans être désintéressé, bien sûr, le marchand d’art moderne spécule sur la durée, celle qui permet à un artiste de se faire un nom, un public et une clientèle d’amateurs. En même temps qu’il soutient des artistes encore inconnus, notamment par un revenu régulier, le marchand s’engage à promouvoir l’œuvre de ses protégés et bénéficie, en contrepartie de ce soutien, de conditions d’acquisition souvent privilégiées et avantageuses. Il mise sur la carrière et la réputation, lesquelles se fondent désormais sur un style et une manière personnels. En bonne intelligence avec le critique d’art, dont la renommée dépend pour une bonne part de sa capacité à découvrir de nouveaux talents, le marchand entend modifier les critères de jugement de ses contemporains. L’un des plus grands marchands d’art moderne du XXe siècle, Daniel-Henri Kahnweiler (1884-1979), a bien résumé sa mission : s’opposant au « marchand de tableaux qui fournissait à ses acheteurs la marchandise qu’ils désiraient », il s’est décrit comme « un marchand de tableaux qui offrirait à l’admiration publique […] les peintres que le public ne connaissait absolument pas et auxquels il faudrait frayer une voie » et considérait que « ce sont au fond les grands peintres qui créent les grands marchands » ( H. et C. White, p. 103).

Harrison C. et Cynthia A. WHITE, La Carrière des peintres au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 1991 (édition américaine 1965).

Malcolm GEE, Dealers, Critics, and Collectors of Modern Painting : Aspects of the Parisian Art Market between 1910 and 1930, New York-Londres, Garland Publishing, 1981.

École de Barbizon : Groupe de peintres installés à Barbizon, en forêt de Fontainebleau, dans les années 1840-50. Ils se consacrent surtout à la peinture de paysage et annoncent l’impressionnisme. Les plus célèbres sont Camille Corot, Charles-François Daubigny, Jean-François Millet et Théodore Rousseau.

Philippe SAUNIER, « Marchand d'art moderne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/marchand-art-moderne

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La Société du futur vue des années 20

La Société du futur vue des années 20

Metropolis une superproduction de la UFA

Au milieu des années 20, Erich Pommer, le directeur des studios de la UFA à Berlin, accorde au cinéaste…

Verdun

Verdun

La guerre de 1914-1918 a fortement marqué les peintres comme la grande majorité des artistes et intellectuels de l’époque. Qu’ils soient mobilisés…

Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie

Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie

Le dynamisme de la vie moderne

Pour les avant-gardes du début du XXe siècle, l’art se doit de représenter la société contemporaine.…

Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie
Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie
Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie
Quand la science inspire l'art : futurisme et chronophotographie
Synthèse plastique des mouvements d'une femme

Synthèse plastique des mouvements d'une femme

La civilisation à l’ère industrielle

Parmi les grands bouleversements que l’Europe a connus dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’…

Un cinéma d'artistes

Un cinéma d'artistes

Un décor cubiste

Le peintre Fernand Léger, lié à la mouvance cubiste, noue, après la guerre de 1914-1918, des liens étroits avec le cinéma.…

Cubisme et camouflage

Cubisme et camouflage

L’arme « camouflage »

La guerre de 1914-1918 ne fut pas la guerre éclair tant attendue. Elle s’enlisa rapidement et, avec la mise en place des…

Cubisme et camouflage
Cubisme et camouflage
Cubisme et camouflage
Cubisme et camouflage
L'Exposition de 1900 à travers des cartes publicitaires

L'Exposition de 1900 à travers des cartes publicitaires

L'Exposition de 1900 est la cinquième Exposition universelle organisée à Paris. Inaugurée sous la présidence d'Emile Loubet, elle a permis à la…

L'Exposition de 1900 à travers des cartes publicitaires
L'Exposition de 1900 à travers des cartes publicitaires
L'Exposition de 1900 à travers des cartes publicitaires
Berlin dans les années 30 : entre frénésie et chaos

Berlin dans les années 30 : entre frénésie et chaos

L’Allemagne en plein chaos

La Première Guerre mondiale et la défaite allemande ont eu d’importantes conséquences politiques et économiques. D’une…

Le Cubisme, un art du quotidien

Le Cubisme, un art du quotidien

La vie à Montmartre

Le terme de « cubisme », qui se généralise en 1909, désigne surtout les qualités stylistiques des œuvres issues de ce courant…

Le Cubisme, un art du quotidien
Le Cubisme, un art du quotidien
Le Cubisme, un art du quotidien
Le Cubisme, un art du quotidien
La puissance industrielle britannique

La puissance industrielle britannique

Cardiff, situé à l’embouchure de la Severn et symbole de l’industrialisation britannique, est à la fin du XIXe siècle un port très…