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Le Gâteau des rois

Le Gâteau des rois

Lieu de conservation : musée Fabre (Montpellier)
site web

Date de création : 1774

Date représentée :

H. : 71 cm

L. : 92,5 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais / agence Bulloz

lien vers l'image

08-505488 / Inv. 836.4.27

Le Gâteau des rois

Date de publication : Février 2015

Auteur : Stéphane BLOND

En 1774, au moment où il compose le tableau intitulé Le gâteau des rois, Jean-Baptiste Greuze est un artiste renommé auprès du public. Plusieurs fois célébré par Denis Diderot qui admire ses « scènes de la vie commune et domestique », il est surtout connu pour son approche moraliste, à travers des scènes du quotidien, comme ce repas de fête réunissant les membres d’une famille de paysans aisés.

Né en 1725 à Tournus, Jean-Baptiste Greuze se passionne très tôt pour les arts, en particulier le dessin. Il développe ses talents au contact de Charles Grandon, nommé peintre ordinaire de la ville de Lyon en 1749. L’année suivante, Greuze rejoint Paris, où il intègre l’atelier de Charles-Joseph Natoire, membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, directeur de l’Académie de France à Rome à partir de 1751. Agréé à l’Académie en 1755, il poursuit son apprentissage avec un voyage en Italie. Contrairement à ses contemporains, il ne fait pas du goût de l’antique son modèle artistique de prédilection. Refusé par l’Académie comme peintre d’Histoire en 1769, il multiplie les scènes de genre et les représentations de la vie domestique.

Greuze se démarque de ses maîtres par une peinture aux ambiances simples, presque austères, afin de concentrer le regard du spectateur sur la morale portée par l’œuvre. Les thèmes choisis véhiculent souvent une philosophie de la vie, autour de scènes du quotidien exprimées avec un réalisme qui rejoint les intérieurs paysans peints par les trois frères Le Nain au début du XVIIe siècle. Ce tableau s’insère dans la longue série des œuvres qui mettent en scène la famille, comme La Piété filiale (1761), L’Accordée du Village (1761), ou encore Le fils ingrat et Le fils puni (1777).

Le tableau est signé et daté en bas à gauche « JB Greuze 1774 ». Il n’est pas certain qu’il réponde à une commande, mais plutôt à une présentation au sein de son atelier. Trois ans plus tard, ce tableau est décliné sous la forme d’une estampe réalisée par le graveur Jean-Jacques Flipart, vendue directement chez le peintre, rue Thibautaudé à Paris. Au début du XIXe siècle, il intègre la collection d’Antoine Valedau, avant un legs dans le fonds muséal d’un autre collectionneur, le baron François-Xavier Fabre.

Greuze peint un intérieur paysan qu’il reprend dans de nombreuses compositions, avec probablement un lien avec les foyers de sa région d’origine, le Mâconnais. Le décor est simple, sans être indigent. Grâce à un jeu subtil de clair-obscur, le mur sombre contraste avec la grande table familiale revêtue d’une nappe blanche. Le décor comprend également différents récipients, un panier reversé, de la vaisselle d’étain et un chat assis sur le banc. L’artiste insiste sur les expressions et les regards des personnages dont les visages sont tous baignés de lumière, ce qui permet d’animer la scène en autant de portraits. Ici, la famille de paysans régulièrement mise en scène dans les œuvres de genre de Greuze, est rassemblée autour de la table. Les personnages sont vêtus de beaux costumes qui confirment qu’il s’agit d’une journée importante. Debout, une jeune fille apporte une soupière fumante, alors que les autres personnages sont tournés vers la scène qui se déroule au premier plan.

La galette, ou gâteau des rois, est placée sur la table, au centre de la composition et des lignes directrices. Il s’agit d’une galette à pâte feuilletée, comme le veut la tradition répandue dans la moitié nord de la France. Une part de galette est volontairement laissée de côté dans le plat, sûrement pour illustrer la part laissée au pauvre. Au premier plan, un jeune garçon, le benjamin de la famille, a encore du mal à tenir debout. Il est soutenu par une jeune fille, afin de « tirer les rois » parmi les parts de galette rassemblées par le père dans un morceau de linge blanc.

Derrière le père qui est assis dans son fauteuil avec un visage sombre et figé, une jeune fille ne peut pas voir la scène. Elle est probablement affectée à la désignation de la personne à qui s’adresse la part qui vient d’être tirée au sort. Cette situation est suggérée par son air interrogatif renforcé par une mimique, celle du doigt porté sur ses lèvres. L’artiste décide de la représenter sur le tableau, plutôt qu’elle se retrouve sous la table, afin qu’elle participe pleinement à la scène. Ce rituel permet à celui qui « hérite » de la fève, un petit morceau de porcelaine qui représente l’enfant Jésus, de devenir le roi ou la reine d’un jour.

Ce moment d’harmonie familiale souligne l’importance des fêtes religieuses dans l’organisation de la société de l'Ancien Régime, et plus largement, la place du calendrier agricole et liturgique. Le gâteau des rois fait référence à une vieille tradition attachée à l’Épiphanie, une fête chrétienne marquant l’Adoration de Jésus par les rois mages. Célébrée chaque 6 janvier, la journée des rois appartient au cycle de la cinquantaine de fêtes religieuses qui rythment l’année des hommes de la période moderne. Elle marque également la fin de la période sacrée comprenant l’Avent, Noël et différentes fêtes, avec un temps de de piété familiale » nimbé d’une atmosphère de réjouissance et de tendresse » (B. Hours).

Le symbole religieux apparaît peu dans la composition, mais cet événement qui regroupe de nombreux convives (10 au total) constitue un moment de communion familiale. Les personnages sont attentifs et complices de la scène, comme le garçon qui se frotte les mains derrière le père, afin de souligner son impatience. Ce focus sur les conditions de vie d’une famille paysanne donne l’image d’un bonheur simple, en lien avec la philosophie hédoniste des Lumières qui insiste sur les comportements vertueux de l’homme et le partage à parts égales, afin de l’éloigner des actions corruptrices. En ce sens, l’artiste donne une leçon au spectateur. Son dessin qui insiste sur l’émotion et la joie des personnages le rapproche aussi de la philosophie de Rousseau qui s’intéresse à la place de l’enfant au sein du cercle familial, aux sentiments, aux émotions et aux vertus de l’homme.

ARIÈS Philippe, DUBY Georges (dir.), Histoire de la vie privée. III : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 1986.

EHRARD Jean, EHRARD Antoinette (dir.), Diderot et Greuze, actes de colloque (Clermont-Ferrand, 1984), Clermont-Ferrand, Adosa, coll. « Textes et documents » (no 9), 1986.

HILAIRE Michel, WUHRMANN Sylvie, ZEDER Olivier (dir.), Le goût de Diderot : Greuze, Chardin, Falconet, David…, cat. exp. (Montpellier, Lausanne, 2013-2014), Paris, Hazan, 2013.

HOURS Bernard, L’Église et la vie religieuse dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier cycle », 2000.

Stéphane BLOND, « Le Gâteau des rois », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/gateau-rois

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