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Le Poignard des jésuites retrouvé dans les ténèbres

Le Poignard des jésuites retrouvé dans les ténèbres

Date de création : 1788

gravure tirée de Nicolas de Bonneville, Les Jésuites chassés de la maçonnerie, et leur poignard brisé par les maçons, Londres, Orient de Londres, 1788

Domaine : Estampes-Gravures

© Musée-archives-bibliothèque - Grande Loge de France

Les jésuites chez les francs-maçons

Date de publication : Septembre 2016

Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE

Les loges maçonniques instrument du complot jésuite

Au milieu des années 1760, la Compagnie de Jésus a été jugée incompatible avec les lois fondamentales du royaume de France (voir notre article), et ses membres ont dû quitter les collèges où ils formaient une part importante des élites. Accusée d’armer le bras des régicides, de l’assassinat d’Henri IV (1610) à la tentative contre Joseph Ier de Portugal (1758), la Compagnie s’est vue accusée de tous les maux. En 1773, le pape Clément XIV a fini par la supprimer.

Pour autant, ses opposants, nombreux parmi les hommes des Lumières, ne désarment pas. Ils affirment que la menace est plus forte que jamais, car les ex-jésuites avancent désormais masqués. Homme de théâtre, journaliste et polygraphe, Nicolas de Bonneville reprend cette thèse dans Les Jésuites chassés de la maçonnerie et leur poignard brisé par les maçons, paru en français à Londres en 1788. Il y dénonce la mainmise surprenante des jésuites sur l’ordre maçonnique. En analysant les codes, rituels et symboles des francs-maçons, il entend montrer que l’essor européen d’une Maçonnerie templière est la pièce maîtresse d’une conspiration tramée par les jésuites pour asseoir leur pouvoir et manipuler les loges maçonniques. Bonneville insère, en ouverture de son livre, une gravure tirée d’un acte officiel d’un nouvel ordre maçonnique, Heredom de Kilwinning, daté de 1783.

Les comploteurs trahis par une gravure allégorique

Pour lui, cette authentique pièce à conviction trahit les origines jésuites de l’ordre et son noir dessein. Cet ordre maçonnique revendique clairement son héritage templier, car persécutés par le roi de France et le pape au XIVe siècle, les templiers seraient restés libres en Ecosse et se seraient réfugiés à Kilwinning, sur le (supposé) mont d’Heredom. Le choix de l’appellation Collège plutôt que celle, habituelle de Grande Loge, renvoie selon Bonneville à la volonté des jésuites de recréer le collège de Clermont, célèbre collège jésuites de Paris.

On note d’abord la présence d’un soleil couronné, or pour Bonneville, le soleil est l’emblème de l’ordre des jésuites. Les sept pointes de la couronne du soleil forment un G. Mais derrière l’apparence classique du G maçonnique – pour géométrie –, la lettre désigne en fait le Général de l’ordre : les anciens jésuites étaient organisés selon un principe militaire avec à leur tête un général. L’aigle de Jupiter « qui lance le tonnerre » regarde du côté du G, comme pour prendre ses ordres, car « le but de l’ordre est d’établir une monarchie universelle qui doit être gouvernée par le soleil caché : c’est pour déclarer ce but de l’ordre qu’on a mis à la droite du soleil un sceptre au bout duquel le globe du monde est comme attaché. Le monde entier ne doit être bientôt qu’un jeu entre les mains du Dieu-Jésuite ! ».

Derrière le sceptre est représentée une tour crénelée, avec une pointe de lance posée dessus. Caché dans la sphère solaire, le tronçon rappelle que le soleil a le pouvoir de mettre en mouvement tout ce qui est enfermé dans la tour. L’inscription de la colonne brisée : S. R. I. est limpide : Société Royale des Jésuites – le i et le j étant identiques en latin. Les lettres B. I. désignent elles Beatus Ignatius, en référence au fondateur des jésuites, Ignace de Loyola.

Au centre de la gravure se trouve le « tapis de loge » avec ses symboles autour duquel les francs-maçons s’assemblent traditionnellement. Mais l’étoile flamboyante traditionnelle à cinq pointes a fait place à une étoile à sept branches qui forme une croix templière. Derrière, s’élèvent deux aigles. Comme l’empereur Joseph II est très hostiles aux jésuites, ils ne peuvent que renvoyer à la Russie, où l’impératrice Catherine II a précisément accueilli les ex-jésuites pour leurs qualités de pédagogues. A Mohilev – dans l’actuelle Bélarus –, ils ont établi un établissement d’enseignement. Cet aigle, c’est donc l’aigle de Mohilev, symbole de la renaissance jésuite, d’où ils repartiront à la reconquête de l’Europe.

Illuminati contre jésuites

La guerre des images se poursuit entre partisans des Lumières radicales et les jésuites bien au-delà de la publication de Bonneville. En effet, ce dernier s’est fait le relais en France des thèses anti-jésuites développées dans l’Europe germanophone notamment par les Illuminaten, ces membres d’une société secrète, qui recrutent dans les loges maçonniques, et s’inspirent de l’organisation de la Compagnie de Jésus – ils sont souvent d’anciens élèves des pères – pour mieux la contrer.

Au milieu des années 1780, cette société favorable aux Lumières radicales a été brutalement interdite et persécutée dans la Bavière catholique, quand les autorités ont pris conscience de son expansion. Avec la Révolution française et le séisme européen qu’elle provoque, les ex-jésuites croient tenir leur revanche. Ils accusent les Illuminaten, plus connus sous la forme anglaise d’Illuminati, ou des Illuminés de Bavière, d’avoir fomenté la Révolution depuis les arrière-loges en abusant la naïveté des francs-maçons. L’abbé Barruel, ancien jésuite, publie ainsi à Hambourg les cinq volumes des Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme (1798-1799). Ils font écho aux Preuves de conspirations contre toutes les religions et tous les gouvernements de l'Europe, ourdies dans les assemblées secrètes des Illuminés, des Francs-Maçons et des sociétés de lecture, recueillies de bons auteurs, ouvrage de l’érudit écossais John Robison, dont la parution ébranle l’Establishment politique britannique.

A leur tour, leurs lecteurs chercheront les signes qui trahissent les Illuminati et leur couverture maçonnique, dans les emblèmes et symboles révolutionnaires puis républicains, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis jusqu’au XXe siècle.

BEAUREPAIRE Pierre-Yves, L’autre et le frère : l’étranger et la franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, coll. « Les dix-huitièmes siècles » (no 23), 1998.

CUBITT Geoffrey, The jesuit myth : conspiracy theory and politics in nineteenth-century France, Oxford, The Clarendon Press, 1993.

FABRE Pierre-Antoine, MAIRE Catherine (dir.), Les antijésuites : discours, figures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, actes de rencontres (Paris, Rome, 2003), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2010.

Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « Les jésuites chez les francs-maçons », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/jesuites-francs-macons

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