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Le portrait de Mandrin, d'après nature dans les prisons de Valence

Le portrait de Mandrin, d'après nature dans les prisons de Valence

Date de création : 1755

Date représentée : 1755

Eau-forte

Domaine : Estampes-Gravures

© BnF, dist. RMN - Grand Palais / image BnF

lien vers l'image

13-543887 / RESERVE QB-201 (101)-FOL

La légende de Louis Mandrin

Date de publication : Décembre 2016

Auteur : Émilie FORMOSO

La criminalité du XVIIIe siècle a laissé dans la mémoire collective un nom encore célèbre aujourd'hui : Louis Mandrin (1725-1755). C'est la ruine de l'entreprise familiale, dans le Dauphiné, qui pousse Mandrin vers la contrebande du tabac et du calicot en 1753. Devenu en quelques mois le meneur de la plus fameuse bande de contrebandiers de l'époque, il lance en 1754 six campagnes, au cours desquelles il revend dans le sud-est de la France de la marchandise prohibée, achetée en Suisse ou dans le duché de Savoie. Sa sixième campagne se solde par un massacre à Autun, auquel il échappe de justesse en se réfugiant en Savoie, en décembre 1754. C'est au prix de la trahison de membres de sa bande que les autorités françaises pourront enfin attraper Mandrin au printemps 1755, pour le traduire en justice. Il fut condamné à mort et roué vif le 26 mai 1755.

La popularité de Mandrin devint nationale au moment de son procès, lorsque commencèrent à circuler les premières gravures, éditées à Paris et à Lyon, qui le mettaient en scène dans ses actions de 1754. Après l’exécution du brigand, la publicité exceptionnelle donnée au jugement – dont la lecture publique et le placardage furent ordonnés par les autorités dans tous les lieux où il avait sévi – devint le point de départ de sa légende posthume. Elle se déploya à travers une grande variété de supports : récits biographiques, chansons, pièces de théâtre, poèmes et images allant de la gravure aux portraits sur faïence. Ceci permit sa diffusion rapide au sein d’une population qui, pour partie, voyait dans ce type de brigand une forme de contestation du pouvoir établi.

Le portrait donné de Mandrin fut pourtant ambivalent, oscillant entre les pôles opposés du hors-la-loi sans foi ni loi et du rebelle gentilhomme. Les parutions, dépeignant le personnage de manière négative (La Mandrinade…) ou positive (Chanson à la louange du grand Mandrin, Oraison funèbre de messire Louis Mandrin…), fleurirent immédiatement après l’exécution de Mandrin. Il en fut de même pour les gravures, dont la plupart illustraient les méfaits que celui-ci commit à Bourg, Beaune et Autun durant l’automne 1754 : si leurs légendes soulignaient au besoin le comportement cruel du brigand, la mise en scène du personnage, tel un héros, pouvait prêter à confusion. Le pouvoir royal tenta d’éviter la divulgation d’une image flatteuse du brigand exécuté, qui pouvait nuire à son autorité ; il ordonna la censure des publications le présentant sous un jour favorable. Dans les faits, cette censure ne put faire totalement face à l’intérêt du public, érudit ou populaire, pour la légende de Mandrin.

Cette gravure, anonyme, a sans doute été réalisée peu de temps après l'exécution, figurée dans l'angle supérieur gauche. Elle porte la légende [sic] : « Le portrait de Mandrin tiré daprès nature dans les prisons de Valence et à été Executé le 26 may 1755. » Le personnage est assis dans sa geôle, comme s'il posait pour le portraitiste. Sa situation de prisonnier est identifiable à la présence des chaînes qui l'entravent et d'une fenêtre pourvue de barreaux. L'attitude paisible de l'homme contraste avec la manière dont il était habituellement représenté : ses plus célèbres portraits le montrent en pleine action, pourvu des pistolets caractéristiques de son état de brigand, et généralement bien habillé, ce qui rappelle sa condition originelle de bourgeois.

Pourtant, contrairement à ce qu'indiquent la légende, il ne s'agit pas du véritable portrait de Mandrin. Cette gravure est en réalité la reprise quasi identique d'une autre plus ancienne représentant le brigand parisien Cartouche. La différence notable entre les deux gravures tient dans la mention du supplice de la roue, absent sur le portrait de Cartouche. La scène est ici réduite à l'échafaud, mais la grande place de Valence, où eut lieu l'exécution de Mandrin, accueillit d'après des témoins quelque 6 000 curieux. Un religieux est représenté en train de brandir un crucifix en direction du condamné : il s'agit du père Gasparini, le jésuite et confesseur de Mandrin, qui accompagna celui-ci jusqu'à la roue.

La représentation du supplice démontre le caractère pédagogique de l'image, qui associe le brigand à son châtiment, conséquence logique de sa forfaiture. Elle va de pair avec le caractère cérémonieux des exécutions publiques sous l'Ancien Régime : il s'agissait de réaffirmer l'autorité monarchique en mettant en scène la sanction terrible et dissuasive de la justice royale.

L'atrocité du châtiment doit être replacée dans le contexte particulier du développement de la contrebande en France au XVIIIe siècle. Depuis les décrets royaux de 1674 et 1686, la France exerçait un contrôle d'État sur la production et la diffusion du tabac et du calicot. Ces deux produits étaient particulièrement appréciés, et une lucrative économie de contrebande ne tarda pas à se mettre en place dans le royaume pour répondre à la demande. Les affrontements, souvent sanglants, entre les contrebandiers et les agents de la Ferme (l'organisme privé chargé du respect des décrets au nom de l'État) constituent un épisode marquant du siècle des Lumières. Ces actions armées ne parvenaient pas à juguler la contrebande, organisée en réseaux allant d'une dizaine à une centaine de membres, dont Mandrin fut le plus célèbre représentant.

Ce défi non masqué à l'autorité du pouvoir royal entraîna l'État dans une spirale répressive du crime de contrebande : à l'époque de Mandrin, il était désormais puni comme ceux auxquels la peine de mort étaient jusqu'alors réservée (meurtre, trahison, hérésie...). Face à la réticence de nombreux tribunaux à appliquer des peines disproportionnées par rapport aux faits commis, l'État mit en place une justice d'exception à partir des années 1720. Les provinces où le trafic était le plus intense se dotèrent de commissions dédiées aux affaires de contrebande, où la justice la plus élémentaire était niée : l'accusé ignorait les charges retenues contre lui et ne pouvait faire appel de la décision des juges. Mandrin était donc, en quelque sorte, condamné d'avance ; il eut d'autant moins de chance que la commission de Valence, qui mena son procès, était alors la plus répressive de tout le royaume.

ANDRIES Lise (dir.), Cartouche, Mandrin et autres brigands du XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2010.

KWASS Michael, Louis Mandrin : la mondialisation de la contrebande au siècle des Lumières, Paris, Vendémiaire, coll. « Révolutions », 2016.

Émilie FORMOSO, « La légende de Louis Mandrin », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/legende-louis-mandrin

Anonyme (non vérifié)

Bonjour,
Merci pour votre oeil avisé.
La coquille est désormais corrigée.
A bientôt,

L'équipe du site l'Histoire par l'image

mar 20/12/2016 - 16:09 Permalien

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