Aller au contenu principal
La Bastille dans les premiers jours de sa démolition

La Bastille dans les premiers jours de sa démolition

Date de création : 15-20 juillet 1789

Date représentée : 20 juillet 1789

H. : 77 cm

L. : 114 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais / agence Bulloz

lien vers l'image

03-012013 / P1476

La Bastille dans les premiers jours de sa démolition

Date de publication : Janvier 2017

Auteur : Stéphane BLOND

Hubert Robert, peintre reporter

Ce tableau constitue l’une des premières représentations artistiques des événements de la Révolution française. Le peintre réalise une œuvre d’après nature, au début du démantèlement de la Bastille. Ce chantier lancé à l’aube du 15 juillet est ordonné officiellement par le Comité permanent de l’hôtel de ville de Paris le lendemain. Les opérations sont confiées à Pierre-François Palloy, entrepreneur des travaux publics, aidé par une foule de volontaires. Si son tableau n’est achevé que le 20 juillet, Hubert Robert se rend très tôt sur place, probablement dès le lendemain de la prise, alors que le logis du gouverneur est encore en proie aux flammes.

Ce tableau confirme l’attrait du peintre Hubert Robert pour les paysages parisiens, en particulier les ruines, souvent saisies sur le vif, dans l’instantané de l’événement. En bas à droite de la toile, une inscription portée sur une pierre donne plusieurs informations : « DEMOLI[…] DE LA BASTILLE LE 20 JUILLET 1789. H. ROBERT PINXIT ». En cette année 1789, la réputation d’Hubert Robert n’est plus à faire et il réalise de nombreuses commandes pour les cercles de la haute société. Son répertoire est attaché aux événements quotidiens de la ville de Paris où il est né en 1733. De retour d’un séjour à Rome en 1765, il ne cesse de multiplier les vues de la capitale, à l’instar des grands artistes paysagistes de son temps, comme Gabriel de Saint-Aubin, Jean-Baptiste Raguenet ou encore Pierre-Antoine Demachy. En 1766, il est agréé « peintre d’architecture » au sein de l’Académie royale de peinture et sculpture. Depuis 1784, il est également conseiller de l’Académie royale de peinture et de sculpture, avec pour fonction la « garde des tableaux, statues et vases destinés à la formation et à la décoration du Museum ».

Le parcours de cette toile est bien connu. Quelques semaines après son achèvement, elle est d’abord exposée au Salon de 1789 sous le numéro 36, parmi une dizaine d’œuvres de l’artiste. Durant cette exposition, à la suite d’une discussion, l’artiste l’aurait donné au marquis de La Fayette, héros de la Guerre d’indépendance des États-Unis et député de la noblesse aux États généraux. Celui-ci l’accroche dans le salon de son château de La Grange, où il est associé l’année suivante à un autre tableau événementiel d’Hubert Robert : La Fête de la Fédération au Champ-de-Mars. Au XIXe siècle, l’œuvre se transmet d’héritier en héritier, avant plusieurs mises en vente et enfin un don en 1929 au Musée Carnavalet, grâce à une acquisition par la Société des Amis du Musée.

Effacer un symbole du despotisme

Adepte du registre des ruines hérité de son séjour italien, Hubert Robert s’installe comme à son habitude au cœur du chantier. La vue est prise en contre-plongée, depuis le croisement entre les rues des Tournelles et Saint-Antoine, face à la tour dite du Puits qui occupe le centre de la toile. Cet angle de vue permet d’élargir démesurément la perspective, avec une ouverture sur les quatre tours de la façade ouest et le pan nord de la forteresse.

La composition fait la part belle à l’édifice qui occupe les deux tiers de la toile. Ce cadrage serré et pesant permet de capter le regard du spectateur. Au sommet de l’édifice, une foule d’ouvriers de taille lilliputienne s’affaire au démantèlement du crénelage des tours. En contrebas, les blocs de pierre tombent avec fracas dans les anciens fossés secs, formant des panaches de fumée blanche. Au premier plan, plusieurs individus contemplent le spectacle et opèrent un tri dans les tas de gravats. Ils sont représentés de dos, dans une atmosphère crépusculaire, pour renforcer le contraste avec la forteresse, à demi éclairée par une lumière rasante de fin de journée. Un autre contraste tient au ciel menaçant et à la fumée noire qui émane de l’ancien logis du gouverneur de Launay, tué juste après la prise de la Bastille.

Le quotidien d’une capitale en émoi

Cette œuvre phare pose encore la question du message que l’artiste souhaite faire passer : Hubert Robert a-t-il pleinement conscience du caractère historique de l’événement ? Dans cette toile, tout concourt à envelopper le chantier d’une atmosphère écrasante représentative de la fin d’une époque, mais il n’est pas certain que le peintre assortisse son œuvre d’un message politique. En outre, si le tableau décrit la déliquescence d’un régime politique, celui de l’absolutisme monarchique, il n’en décrit pas la fin, même cet évènement militaire fait date.

Six jours seulement après la prise de la Bastille, où se trouvaient seulement sept prisonniers de droit commun, Robert produit le portrait d’un chantier symbolique de la ville, une thématique qu’il affectionne. Le bouleversement sentimental et la curiosité de l’artiste face aux événements parisiens ressortent avec vivacité. En 1836, dans ses Souvenirs sur la vie privée du Général Lafayette, Jules Cloquet observe ainsi que cette toile est celle d’un « peintre encore ému du spectacle terrible auquel il vient d’assister ». Après avoir été saisi par le moment, le peintre cherche à son tour à capter le spectateur.

Hubert Robert peint la disparition annoncée d’une prison politique, un monument symbole de l’emprisonnement par lettres cachet. Cette procédure despotique – de moins en moins utilisée – autorisait l’enfermement sur simple décision du roi, sans motif et sans jugement. Tout au long du XVIIIe siècle, cette marque de la justice retenue du roi se trouve en décalage avec les aspirations des Lumières qui insistent sur les libertés de l’homme, à l’image de l’Habeas Corpus anglais (1679) qui assure un traitement judiciaire équitable. À la fin de l’année 1789, la forteresse est presque totalement arasée. Durant la Terreur, Hubert Robert découvre à son tour l’univers carcéral. Il est arrêté en octobre 1793 à cause des liens entretenus avec l’Ancien Régime monarchique, mais finalement libéré après la chute de Robespierre.

BOCHER Héloïse, Démolir la Bastille : l’édification d’un lieu de mémoire, Paris, Vendémiaire, coll. « Révolutions », 2012.

CAYEUX Jean de, avec la coll. de BOULOT Catherine, Hubert Robert, Paris, Fayard, coll. « Histoire de l’art », 1989.

COLLECTIF, Hubert Robert : peintre poète des Lumières, Dossier de l’art, no 237, 2016.

FAROULT Guillaume (dir.), Hubert Robert (1733-1808) : un peintre visionnaire, cat. exp. (Paris, 2016 ; Washington, 2016), Paris, Somogy / musée du Louvre, 2016.

LAVEDAN Pierre, Nouvelle histoire de Paris. XV : Histoire de l’urbanisme à Paris, Paris, Association pour la publication d’une histoire de Paris, 1993.

QUÉTEL Claude, L’histoire véritable de la Bastille, Paris, Larousse, coll. « Bibliothèque historique », 2006.

TULARD Jean, Nouvelle histoire de Paris. IXa : La Révolution, Paris, Association pour la publication d’une histoire de Paris, 1989.

Stéphane BLOND, « La Bastille dans les premiers jours de sa démolition », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/bastille-premiers-jours-sa-demolition

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

De la place de grève à la place de l'Hôtel de ville

De la place de grève à la place de l'Hôtel de ville

Le siège de la municipalité de Paris

La place de Grève, devenue en 1803 place de l’Hôtel de Ville, abrite le siège de la municipalité parisienne…

De la place de grève à la place de l'Hôtel de ville
De la place de grève à la place de l'Hôtel de ville
De la place de grève à la place de l'Hôtel de ville
Les Tuileries en ruines

Les Tuileries en ruines

Les ruines des édifices incendiés

Trois édifices incendiés ont principalement offert aux Parisiens de retour dans la capitale au début du mois de…

Les Tuileries en ruines
Les Tuileries en ruines
Le massacre de la Saint-Barthélemy

Le massacre de la Saint-Barthélemy

François Dubois, peintre protestant né à Amiens en 1529, a échappé aux massacres qui se sont produits à Paris le 24 août 1572 et les jours…

Le massacre de la Saint-Barthélemy
Le massacre de la Saint-Barthélemy
Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet

Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet

Philippe-Auguste Jeanron, qui sera l’éphémère directeur des Musées nationaux en mars 1848, est un républicain de la première heure[1]. Dès les…

Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet
Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet
Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix

Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix

Guerre et Paix… sociale

Peintre et illustrateur tchèque émigré à Paris en 1896, Frantisek Kupka (1871-1957) collabore avec L’Assiette au beurre…

Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix
Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix
L'ère des barricades, 1827-1851

L'ère des barricades, 1827-1851

Une époque révolutionnaire

A l’époque où la barricade constitue un sujet nouveau dans la peinture et la littérature, son rôle devient…

L'ère des barricades, 1827-1851
L'ère des barricades, 1827-1851
L'ère des barricades, 1827-1851
L'ère des barricades, 1827-1851
Joséphine Baker et la Revue Nègre

Joséphine Baker et la Revue Nègre

Les années folles, antidote à la Grande Guerre

« Roaring Twenties » de Broadway dépeintes par Fitzgerald aux États-Unis, années folles…

Joséphine Baker et la Revue Nègre
Joséphine Baker et la Revue Nègre
Le Thé à l’anglaise

Le Thé à l’anglaise

Une école de peinture ?

En 1764, lorsqu’il peint Le Thé à l’anglaise servi dans le salon des Quatre-Glaces au palais du Temple à Paris en 1764,…

Le Thé à l’anglaise
Le Thé à l’anglaise
Le 6 février 1934

Le 6 février 1934

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le régime parlementaire de la IIIe République est l’objet de critiques croissantes, visant à la fois…

Le 6 février 1934
Le 6 février 1934
Le 6 février 1934
Les Cris de Paris

Les Cris de Paris

Histoire des cris de Paris

Les cris des marchands ambulants remontent à l’époque médiévale. Première forme orale de publicité, ils faisaient…

Les Cris de Paris
Les Cris de Paris
Les Cris de Paris
Les Cris de Paris