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Scènes de torture

Scènes de torture

Auteur : ANONYME

Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web

H. : 10,3 cm

L. : 14,9 cm

Eau-forte

Domaine : Estampes-Gravures

Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN - Grand Palais / Emilie Cambier

Lien vers l'image :

06-514266 / 2003.1.44

Scène de dragonnade (Fin XVIIe siècle)

Date de publication : Septembre 2019

Auteur : Stéphane BLOND

Le protestantisme dans la clandestinité

Dans un genre très répandu au XVIIe siècle, notamment depuis l’épisode de la Fronde, cette gravure de petite taille utilise l’image pour véhiculer un discours politique. Non datée et non signée, elle décrit les actions armées qui se déroulent avant et après la révocation de l’édit de Nantes. L’enjeu est de mettre en évidence la politique de répression orchestrée par les soldats du roi à l’encontre des huguenots, afin de réprouver l’usage de la violence. Dépourvue de légende, cette estampe porte au verso une mention imprimée et lacunaire qui décrit le contexte « pour contraindre par toute sorte de voye les Huguenots à faire abjuration de l’hérésie ». Sur le même thème, elle doit être rapprochée des représentations des graveurs hollandais qui critiquent durement les actions du roi de France.

Le 22 octobre 1685, Louis XIV prend l’édit de Fontainebleau révoquant l’édit de Nantes arrêté par son grand-père Henri IV en avril 1598. Ce nouveau texte préparé par le chancelier Le Tellier et le secrétaire d’État en charge des affaires de la Religion prétendue réformée Phélypeaux de Châteauneuf, met un terme à la politique de tolérance manifestée à l’égard des protestants. En effet, l’édit de Nantes reconnaissait aux calvinistes français une liberté de conscience et la possibilité de prétendre aux charges publiques dans un royaume où le catholicisme est la religion d’État. Au cours du règne de Louis XIII, de premières restrictions interviennent, mais c’est avec Louis XIV que l’usage de la force et la contrainte se répandent.

Les conversions forcées

La révocation de l’édit de Nantes est précédée et suivie par une série de persécutions au cours desquelles des militaires sont engagés. Cette gravure représente probablement une dragonnade, un terme qui évoque les exactions perpétrées par les dragons apparus en France au XVIe siècle. Il s’agit de soldats affectés dans un corps de troupes royales dont le nom fait référence à la créature légendaire réputée pour sa puissance et son sang-froid au combat. Depuis 1678, quatorze régiments de dragons sont en activité dans le royaume, soit environ 10 000 soldats qui se déplacent à cheval et combattent à pied.

Les premières dragonnades interviennent en Poitou en 1681, puis s’étendent dans les provinces où de nombreux protestants sont attestés, comme la Normandie ou les Cévennes. Dans ce cadre, des soldats logent chez des particuliers suspects de protestantisme dans le but de les faire abjurer de façon brutale. Dans ses Souvenirs sur la cour de Louis XIV, la marquise de Caylus considère que les dragonnades sont imputables au secrétaire d’État de la guerre : « M. de Louvois demanda au roi la permission de faire passer dans les villes les plus huguenotes un régiment de dragons, l’assurant que la seule vue de ses troupes, sans qu’elles fissent rien de plus de se montrer, déterminerait les esprits à écouter plus volontiers la voix des pasteurs qu’on leur enverrait. »

Sur cette gravure, la scène se déroule dans une habitation ou un bâtiment public, avec trois épisodes de torture en cours. Au premier plan sur la droite, un personnage à demi-allongé, les mains attachées dans le dos, est forcé d’ingurgiter de grandes quantités d’eau à l’aide d’un entonnoir. Au second plan, deux saynètes se jouent. Devant l’âtre de la cheminée, un homme est contraint de mettre sa main droite dans une bassine chauffée à feu vif. Il est directement encadré par deux soldats, dont l’un tient un fusil, tandis qu’un troisième, assis, observe et fume sa pipe. Au centre de l’image, un dernier personnage est maintenu sur une chaise par un soldat, alors qu’un autre lui envoie la fumée de sa pipe.

Pourchasser les protestants

Cette gravure décrit la difficile conversion des huguenots malgré les injonctions de l’État, ainsi que les ravages de tels vecteurs d’information qui fortifient l’opinion publique. L’objectif du graveur, dont l’œuvre circule secrètement et selon des volumes probablement limités, est de discréditer la politique radicale de Louis XIV. Par l’ouverture de la porte, la scène de torture se prolonge dans la rue. Un homme est entouré de soldats, frappé et escorté, probablement pour être soumis à son tour à la torture. Le tout se déroule à proximité d’une église dont on aperçoit la silhouette, manière de condamner les actes perpétrés au nom de Dieu. De semblables gravures sont régulièrement produites dans les Provinces-Unies, toujours dans le but de critiquer vertement l’action du roi de France. Ces comportements mis en image choquent l’opinion, y compris les catholiques et les autres nations européennes. En ce sens, la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) est souvent décrite comme une réaction des États européens à la soif de puissance de Louis XIV, également présenté comme un tyran pour son propre peuple.

Malgré la peur des dragons et les actions violentes qui en découlent, les dragonnades restent un moyen d’action peu performant. En dépit de l’exil dit « Refuge », les religionnaires sont nombreux dans le royaume, en particulier dans la moitié sud qui forme le « croissant réformé ». La révolte des protestants camisards à partir de 1702 est l’une des conséquences des persécutions subies par les protestants depuis plusieurs décennies. Au cours du règne de Louis XV, les dragonnades s’espacent dans le temps, mais elles perdurent jusques dans les années 1760.

Jean-Paul CHABROL, Jacques MAUDUY, Atlas des Camisards, 1521-1789 : les huguenots, une résistance obstinée, Nîmes, Alcide, 2013.

Janine GARRISSON, L’Édit de Nantes et sa révocation : histoire d’une intolérance, Paris, Seuil, 1985.

Élisabeth LABROUSSE, Essai sur la révocation de l’édit de Nantes : une foi, une loi, un roi ?, Genève, Labor et Fides/Paris, Payot, 1985.

Stéphane BLOND, « Scène de dragonnade (Fin XVIIe siècle) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 16/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/scene-dragonnade-fin-xviie-siecle

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