Aller au contenu principal
La première d'Hernani. Avant la bataille.

La première d'Hernani. Avant la bataille.

Date représentée : 25 février 1830

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais

http://www.photo.rmn.fr

00-009231 / Inv196

La première d'"Hernani". Avant la bataille

Date de publication : Juin 2012

Auteur : Michel WINOCK

Après Martignac, plus libéral que Villèle, Charles X charge en août 1829 le prince de Polignac de former un nouveau ministère sans tenir compte de la volonté des Chambres. Les principaux ministres incarnent la fidélité à l’Ancien Régime et sont l’objet d’une réelle impopularité. Soumise à l ’examen de la censure, la pièce de Victor Hugo est cependant autorisée alors que sa précédente création, Marion Delorme, avait été interdite par Charles X pour « atteinte à la majesté royale ». Le 29 septembre 1829, Hugo invite ses amis chez lui pour donner lecture d’Hernani, ou l’Honneur castillan, l'histoire d'amour malheureuse d'un proscrit, Hernani, pour une jeune infante, doña Sol. On s'enthousiasme pour cette pièce qui rompt avec les canons du théâtre classique, notamment avec les trois unités de temps, de lieu et d'action énoncées par Boileau sous le règne de Louis XIV. Le soir du 25 février 1830, le Tout-Paris emplit la salle du Théâtre-Français, pour assister à la « première » du drame de Victor Hugo, Hernani. Jour de bataille : l'affrontement — romantiques contre classiques — est annoncé depuis plusieurs semaines ; l'enjeu est de taille. Hugo a mobilisé une claque inhabituelle, recrutée parmi ses amis.

Fils d’un élève d’Ingres et d’une miniaturiste, le peintre et graveur Albert Besnard se situe à mi-chemin entre l’académisme et la mouvance impressionniste. Auteur de grandes compositions (plafond du Théâtre-Français) et de portraits, il peint cette toile pour honorer une commande de Paul Meurice, fondateur de la Maison de Victor Hugo.
Le tableau représente la salle Richelieu avant le lever du rideau. D’emblée on remarque l’agitation régnant dans un endroit où le calme et les mœurs policées dominent en temps normal ; « une rumeur d’orage grondait dans la salle », dira Théophile Gautier. Au premier plan, portant les cheveux longs et des vêtements excentriques en signe d’appartenance à la mouvance romantique, les partisans d’Hugo ne peuvent tenir en place. Plusieurs d’entre eux, la bouche ouverte, lancent insultes et quolibets à leurs adversaires. Sur la gauche du tableau, on reconnaît Théophile Gautier, bravant l’adversaire avec son torse bombé et son gilet rouge. L’un de ses alliés, monté sur la scène, semble vouloir singer les gestes et la pose d’un spectateur de l’autre camp. Entre ces deux personnages, tous les occupants des premiers rangs se regroupent en une cohorte informe, parcourue par l’effervescence de la joute oratoire qu’elle mène avec les autres spectateurs du balcon. Parmi les défenseurs de la pièce venus pour l’occasion, citons Louis Boulanger, Gérard de Nerval, Alfred de Musset, Petrus Borel, Célestin Nanteuil, Auguste de Châtillon. La plupart étaient déjà là à l’ouverture des portes du théâtre en début d’après-midi et se sont livrés pour passer le temps à un chahut où les chansons l’ont disputé aux cris d’animaux. Entre les « pro » et les « anti » Hernani, la salle compte d’autres éminents spectateurs venus par simple curiosité. Parmi eux citons en particulier Chateaubriand.
Dès les premiers vers, la querelle est engagée. « Il suffisait, écrit Théophile Gautier, de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu'il ne s'agissait pas là d'une représentation ordinaire ; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, — ce n'est pas trop dire — étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la bataille, et prêts à fondre l'un sur l'autre. L'attitude générale était hostile, les coudes se faisaient anguleux, la querelle n'attendait pour jaillir que le moindre contact, et il n'était pas difficile de voir que ce jeune homme à longs cheveux trouvait ce monsieur à face bien rasée désastreusement crétin et ne lui cacherait pas longtemps cette opinion particulière. » (Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, Paris, Librairie José Corti, 1985, p. 393.)

Ponctuée de cris d'indignation, d’ovations et d'échanges variés, la représentation s’achève, applaudie à tout rompre par la jeune garde romantique. La partie n'est pas jouée pour autant : on n'en est qu'à la première. La presse du lendemain n'est pas tendre, ni pour Hugo ni pour ses jeunes acolytes, traités d'obscènes et de républicains.

Après avoir remporté la bataille poétique avec Lamartine, Hugo, Vigny, Nerval, les romantiques voulaient passer à l'action directe, dont le terrain désigné est le théâtre : là où se font et défont les réputations, là où l'écrivain est en prise directe avec le public, là où les passions s'exacerbent.
Revendiquer la liberté dans l'art, c'est revendiquer du même pas la liberté de la presse, la liberté d'expression, les libertés politiques. « C'est le principe de liberté, écrit Hugo, qui […] vient renouveler l'art comme il a renouvelé la société . » (Lettre d'Hugo de 1830 citée par Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, Paris Librairie José Corti, 1985, p. 393.). Avec le recul, Hernani paraît frapper les trois coups des « Trois Glorieuses ».

Paul BENICHOU Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830 Paris, Librairie José Corti, 1985, rééd. Gallimard, 1996.

Théophile GAUTIER Victor Hugo publication posthume, 1902, rééd. Honoré Champion, 2000.

Hubert JUIN Victor Hugo tome I « 1802-1843 », Paris, Flammarion, 1992.

Anne MARTIN-FUGIER Les Romantiques 1820-1848, Paris, Hachette, 1999.

Emile VERHAEREN Hugo et les romantiques Bruxelles, Complexe, 2002.

Michel WINOCK, « La première d'"Hernani". Avant la bataille », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/premiere-hernani-bataille

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Planches de l’<i>Encyclopédie</i>

Planches de l’Encyclopédie

Composés de quelque 60 000 articles, les dix-sept volumes de textes de l’Encyclopédie s’accompagnent de onze volumes de planches. Des…

Planches de l’<i>Encyclopédie</i>
Planches de l’<i>Encyclopédie</i>
Saint-Exupéry, Icare moderne

Saint-Exupéry, Icare moderne

Porté disparu

Deux ans presque jour pour jour après la disparition en vol d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), la revue communiste Regards…

Saint-Exupéry, Icare moderne
Saint-Exupéry, Icare moderne
Voltaire nu ou le Vieillard Idéal

Voltaire nu ou le Vieillard Idéal

François Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778) est le philosophe des Lumières par excellence. Son succès littéraire public débute grâce aux pièces…

Victor Hugo artisan de sa légende

Victor Hugo artisan de sa légende

L’« écrivain-roi »

Depuis l’Antiquité, la représentation de l’écrivain ou du poète a mis en avant son importance dans la société et illustré ses…

Victor Hugo artisan de sa légende
Victor Hugo artisan de sa légende
Stendhal

Stendhal

Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, naît à Grenoble en 1783 dans une famille conservatrice. Confié à la mort de sa mère aux bons soins de l’…

Stendhal
Stendhal
Jean-Jacques Rousseau

Jean-Jacques Rousseau

Ermenonville, le calme après la tempête

Fin mai 1778, à l’invitation du marquis de Girardin, Rousseau et son épouse Thérèse quittent leur modeste…

Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau
Chateaubriand

Chateaubriand

En avril 1800, François-René, vicomte de Chateaubriand (Saint-Malo, 1768-Paris, 1848), émigré en 1792, quitte l’Angleterre et rentre en France…

Le daguerréotype

Le daguerréotype

L’invention de la photographie

Le 19 août 1839, lors d’une séance officielle à l’Institut de France, Louis-Jacques-Mandé Daguerre (1787-1851),…

Le daguerréotype
Le daguerréotype
Stéphane Mallarmé

Stéphane Mallarmé

Partagé entre sa vocation de poète et son métier de professeur d’anglais, Stéphane Mallarmé a beaucoup fréquenté les salons parisiens, hauts lieux…

Stéphane Mallarmé
Stéphane Mallarmé
Zola, écrivain et ami des peintres

Zola, écrivain et ami des peintres

Considéré comme le peintre de la rupture avec la peinture officielle au milieu du XIXe siècle, Manet n’a qu’une célébrité de scandale[1…