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En Alsace - La première leçon

En Alsace - La première leçon

Date de création : 1914

Date représentée : 1914

H. : 35,8 cm

L. : 46,2 cm

Série : Pages Glorieuses.

Lithographie.

Domaine : Estampes-Gravures

© Fabien Fabiano © RMN-Grand Palais (MuCEM) / Gérard Blot

Lien vers l'image

1950.39.1934 - 04-509127

  • En Alsace - La première leçon

Une leçon de France

Date de publication : Février 2009

Auteur : Alban SUMPF

Les débuts de la guerre de 1914-1918 : la mobilisation et l'offensive en Alsace-Moselle

La IIIe République, née du désastre de Sedan le 4 septembre 1870, doit rapidement signer l'armistice et accepter le traité de Francfort du 10 mai 1871, qui ampute la France de l'Alsace et d'une large partie de la Lorraine, purement et simplement annexées par la Prusse. Ce n'est peut-être pas sa défaite, plutôt celle du second Empire, mais, les yeux rivés sur « la ligne bleue des Vosges », elle espère depuis, retrouver son intégrité territoriale et laver son honneur bafoué.
Le conflit de 1914 trouve l'une de ses nombreuses causes dans cette volonté de récupérer les « provinces perdues ». Si l'on ne peut dire que ce sentiment de revanche, mêlant patriotisme cocardier et anti-germanisme aveugle, raciste et brutal, est proprement l'une des causes du déclanchement de la guerre, il est réactivé par la propagande au début du conflit, et il ré-informe alors les mentalités du pays.
Le 1er août 1914, la Mobilisation générale est décrétée en France. Le 3 août, la guerre est officiellement déclarée par l'Allemagne. Conformément au plan XVII conçu en 1913 par Joffre, les troupes françaises, regroupées en Lorraine, lancent immédiatement l'offensive vers l'Alsace et la Moselle. Décision à la fois symbolique et stratégique : l'heure de la revanche a enfin sonné, où la France récupérera en quelques semaines ces provinces perdues. L'heure est à « l'union sacrée », à la mobilisation de tous les talents et de toutes les énergies au service de « l'effort de guerre ».

Une leçon de France

La lithographie En Alsace-La première leçon est la dernière d'une série de cinq, intitulée Pages glorieuses. Ces lithographies, destinées à être reproduites et publiées dans certains journaux ou périodiques, sont destinées à un large public. Elles ont été réalisées en août 1914 par Fabien Fabiano (1882-1962), peintre et illustrateur, qui jusque là s'adonnait au dessin humoristique ou à la représentation de la vie parisienne.
Le trait simple suscite bien l'atmosphère grave, héroïque, tragique et même douloureuse de la scène.
Dans une salle de classe, remplie des symboles de la République et elle-même lieu emblématique du combat et de l'identité de cette France républicaine, un soldat français de 1914 (pantalon rouge), présent sur le front d'Alsace d'août 1914 dispense une leçon d'histoire et de géographie, une leçon de France. L'élan du soldat, qui n'a pas pris le temps de fermer la porte, est perceptible : tel un souffle, il traverse la classe, semant épée et livre sur une chaise qui s'est trouvée emportée là par hasard.
Il s'adresse à des élèves alsaciens (costume féminin). L'air exalté, pénétré et grave, il désigne du bras, sur une carte de la France amputée, les provinces perdues : ce mouvement figure celui des troupes, le sien. Il n'a pas besoin du livre, pas plus qu'il ne regarde son mince papier : il connaît cette leçon par cœur, et c'est avec passion qu'il la professe. L'émotion fait écho aux mouvements déjà évoqués (des armées, du soldat entrant dans la classe et du bras). Elle est communicative : les élèves sont interpellés et passionnés, comme le montre leurs bouches bées.
La salle de classe s'ouvre, en deux endroits (porte et fenêtre) sur un fond lointain à peine suggéré : un paysage rural et vallonné. L'horizon est bouché par l'attroupement hésitant, curieux, timide et presque craintif d'Alsaciens eux aussi en costume. Ils restent en dehors, simples témoins de la scène, faisant face et miroir aux spectateurs que nous sommes. A la fois en mouvement (ils s'approchent lentement, se penchent) et statiques (presque figés d'hésitation) ils contrastent avec les mouvements animant la classe. Supprimant la profondeur de champ, ils renforcent et focalisent l'intensité de la scène qui se joue devant eux.

L'école de la République : un des lieux du combat pour la France et ses valeurs

La lithographie veut communiquer l'élan patriotique : il s'agit de mobiliser le plus grand nombre en insistant sur le bien-fondé et le caractère crucial de cette guerre. C'est une question de survie : celle, individuelle du soldat se confond avec celle de la République. Dans ce but, l'image est simple et directe, porteuse de valeurs fédératrices, mobilisatrices et aisément reconnaissables. Il y a urgence : l'auteur lui-même n'a-t-il pas délaissé les sujets légers, simplifié son style pour contribuer à la propagande et à l'effort de guerre ?
Le titre de la série, Pages glorieuses, et la légende de cette lithographie, Le jour de gloire est arrivé font référence à La Marseillaise, composée justement à Strasbourg, pendant la guerre qui opposait déjà, en 1792, la France et la Prusse. Fille de la Révolution et de ses héros, la IIIe République écrira à son tour de glorieuses pages d'histoire. Et l'un de ces moments rares et privilégiés » est arrivé », où il faut se montrer fidèle à la grandeur de son passé et défendre effectivement les valeurs de la patrie. La glorieuse histoire de la Nation, chantée et enseignée dans les écoles de la République est ainsi, plus que jamais, d'actualité.
La France républicaine est symbolisée par la salle de classe qui contient et respecte les diversités régionales (les costumes), en les intégrant dans une unité de valeurs. L'école primaire, rendue obligatoire, laïque et gratuite par les lois Ferry de 1881-1882, enseigne et met en œuvre les principes républicains, assurant l'égalité de tous dans le droit à l'enseignement, ainsi que le progrès des conditions et des savoirs. Elle apparaît bien comme le lieu d'un combat engageant l'avenir de cette République, à la conclusion d'une série qui figurait principalement des scènes de guerre.
L'Alsace est ici, comme dans toute la série, fantasmatiquement reconquise. La saturation des symboles (cadre de la scène et éléments présents dans ce cadre) marque la reconquête de l'espace réinvesti. La première leçon, dispensée par un soldat qui était peut-être instituteur dans le civil, consiste à rappeler à ces élèves (qui par ailleurs ne devaient pas parler le français, puisque cela était interdit par les autorités allemandes) qu'ils sont des enfants jamais oubliés de la République, et qu'ils devront aussi la défendre et la faire vivre.

Jean-Pierre AZEMA et Michel WINOCK, La IIIe République, Paris, Calmann-Levy, 1970.

Françoise MAYEUR, Histoire de l'enseignement et de l'éducation tome III, 1789-1930, Paris, Tempus, 2004.

Roland OBERLE, L'Alsace au temps du Reichsland, 1870-1914, Mulhouse, ADM éditions, 1990.

Mona OZOUF, L'École, l'Église et la République 1871-1914, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire »,1982.

Alban SUMPF, « Une leçon de France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/lecon-france

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