Aller au contenu principal
Boxeurs

Boxeurs

Date de création : 1818

Date représentée : 1810-1811

H. : 35,4 cm

L. : 41,9 cm

Lithographie

Domaine : Estampes-Gravures

Domaine Public © CC0 The Metropolitan Museum of Art

Lien vers l'image

22.63.28

  • Boxeurs

La Boxe au XIXe siècle

Date de publication : Décembre 2023

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

La boxe au début du XIXe siècle

Tandis que les règles de la boxe anglaise ont commencé à s’écrire outre-Manche au XVIIIe siècle, cette nouvelle forme de duel à mains nues se diffuse rapidement sur le continent et aux Amériques. Le spectacle qu’il procure attire un public nombreux, socialement divers, prompt, de surcroît, à en tirer quelque profit en pariant sur « son » champion. Dans les plantations esclavagistes des États-Unis, des maîtres organisent des combats entre leurs esclaves. Progressivement, l’apprentissage et la pratique de la boxe sont perçus par ces derniers comme un moyen de prendre leur revanche et de reprendre possession de leurs corps. Un processus de racialisation de la boxe s’enclenche alors, qui continue d’alimenter les imaginaires sportifs contemporains.

C’est dans ce contexte historique qu’un combat a particulièrement marqué les esprits lorsqu’il s’est déroulé dans une petite commune au sud de Londres, en 1810. Le champion du Royaume-Uni, Tom Cribb, ancien de la Navy, y affronte Tom Molineaux, un boxeur africain-américain, probablement né esclave en Virginie, attiré par la présence sur place d’un de ses compatriotes, ancien esclave quant à lui, le boxeur Bill Richmond. Le combat entre les deux Tom dure une trentaine de rounds, et se conclut par la victoire de Cribb, qui bat de nouveau Molineaux l’année suivante, et qui, fort de ces victoires, demeure ensuite sans adversaire pendant une dizaine d’années.

Théodore Géricault, dont l’œuvre a déjà été remarquée mais qui s’apprête à exposer Le Radeau de la Méduse, n’a assisté à aucun des combats, mais il a pu en entendre parler ou prendre connaissance de la gravure colorée qui en est tirée dès 1811 (dont le Metropolitan Museum conserve également un exemplaire). Une rapide comparaison avec cette estampe laisse néanmoins planer un doute quant au fait qu’avec les Boxeurs Géricault illustre bel et bien le combat Cribb-Molineaux puisqu’il ne reprend aucun des éléments caractéristiques d’un tel événement (l’arbitre, les entraîneurs, ou même le ring). Mais son choix de représenter un boxeur noir affrontant un boxeur blanc a certainement été déterminé par cet épisode qu’il entend porter, tant du point de vue de la technique que de la composition, à un niveau d’interprétation qui dépasse l’événement sportif proprement dit.

Du point de vue de l’histoire de l’estampe, les Boxeurs de Géricault représente un jalon. Il s’agit en effet d’un des premiers chefs-d’œuvre lithographiques réalisés en France. Mise au point en 1796 par l’Allemand Aloys Senefelder, la lithographie se diffuse rapidement en France. Horace Vernet, ami et compagnon d’atelier de Géricault, est l’un des premiers à en maîtriser la technique ; au point que Francisco Goya serait venu s’y former auprès de lui. Au contraire des autres formes de gravures, la lithographie ne requiert pas d’inciser le support, mais se pratique au crayon. Cette particularité favorise un style d’esquisse qui s’avère propice à la restitution du mouvement. Si Senefelder songe dès 1817 à faire évoluer son procédé vers la future chromolithographie, à la date d’exécution des Boxeurs seule est encore utilisée l’encre noire ; défaut qui permet cette fois de dramatiser le contraste.

La lithographie, une technique propice au mouvement et au contraste

Géricault tire profit de la qualité comme du défaut. Le caractère ductile (continu) du crayon lithographique lui permet d’esquisser le ciel de sa composition aussi bien que les figures qui assistent au combat. Aux premiers plans, en revanche, sa main appuie sur les deux brocs qui font office de repoussoir dans l’angle inférieur droit, et dont les positions respectives présagent de l’issue de l’affrontement. Une même insistance souligne l’importance des deux adversaires. Subtilement, Géricault recourt au crayon pour la partie inférieure de la figure noire et la partie supérieure de la figure blanche, et, inversement, il use de la plume pour le torse du premier et les pantalons du second. Ainsi distingués entre eux, les deux boxeurs captent toute l’attention du spectateur. D’autant que, selon toute vraisemblance, Géricault représente le début du combat, juste avant que les premiers coups ne soient portés, tandis qu’en position de garde l’un et l’autre se toisent. Le boxeur noir est montré de profil et le blanc de trois-quarts. Mais hormis cette nuance et l’évidente différence de pigmentation de leur peau, c’est bien leur ressemblance qui frappe. Même posture, même gabarit, même expression, les corps de chacun noués d’une musculature anatomique quasiment identique. Un jeu de miroir que renforce encore la probabilité que les deux hommes représentés portent le même prénom – Tom.

Un combat historique

Si Géricault s’est bel et bien inspiré de l’un ou l’autre des combats de 1810-1811, il s’en est emparé à travers les Boxeurs comme il le fit à la même période de l’affaire de La Méduse : en élevant le fait divers au rang d’événement historique. Certes, la portée des deux sujets n’est pas d’égale importance, mais le principe reste le même, et il est dans les deux cas de nature autant artistique que politique. Le choix de délocaliser le combat de l’espace ritualisé du ring vers un lieu indéterminé peut sembler contredire cette politisation du sujet. De même, la décision de figurer la foule à la manière des guerriers de Michel-Ange dans la Bataille de Cascina, aujourd’hui connue par une grisaille d’Aristotele da Sangallo (1542, Holkham Hall), peut être interprété comme une tentative de déshistoriciser son sujet. L’habillement des deux boxeurs, comme la représentation, parmi la foule, d’une redingote et d’un gibus, situent cependant la scène dans son époque. La modernité de Géricault tient à ce mélange d’emprunts au passé et au présent. Il n’est pas avéré, en revanche, contrairement à ce qui a pu parfois être avancé, que la physionomie des deux protagonistes ait subi l’influence des traités de classification raciale qui se diffusent à la même période. Au vu de l’œuvre de Géricault pris dans son ensemble, et de celle-ci en particulier, il est plus cohérent d’y voir une tentative de montrer que si le temps de la lutte entre hommes de différentes couleurs ne fait sans doute que commencer, elle se déroule désormais d’homme à homme, face-à-face, et d’égal à égal, suivant en cela les principes du « noble sport » qu’est la boxe.

David BINDMAN, « Le “racisme scientifique” et la représentation des Africains dans la France du XIXe siècle », in DEBRAY, Cécile DEBRAY at alii (dir.), Le Modèle noir. De Géricault à Matisse, Paris, musée d’Orsay, Flammarion, 2019.

Charles CLEMENT, Géricault. Étude biographique et critique, Paris, Didier & Cie, 1868.

Pierre COURTHION (dir.), Géricault raconté par lui-même et par ses amis, Genève, Pierre Caillier, 1947.

Sylvain LAVEISSIERE, Régis MICHEL (dir.), Géricault, Paris, Réunion des musées nationaux, 1991. Jean SAGNE, Géricault, Paris, Fayard, 1991.

Paul BERNARD-NOURAUD, « La Boxe au XIXe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 27/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/boxe-xixe-siecle

À découvrir, l'étude consacrée au Radeau de la Méduse sur le site de l'Histoire par l'image

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

L'Émancipation à la Réunion

L'Émancipation à la Réunion

Esclavage et économie coloniale 

La première moitié du XIXe siècle voit l’émergence d’une classe dominante de colons dont la richesse…

Rosa la rouge

Rosa la rouge

Black-out

Le visage de Rosa Parks (née McCauley, 1913-2005) apparaît pour la première fois dans la presse en décembre 1955. Dès lors, cette femme…

Rosa la rouge
Rosa la rouge
Rosa la rouge
Le Général Marchand

Le Général Marchand

De la « Mission Congo-Nil » à la Grande Guerre

La politique française d’expansion impérialiste en Afrique noire, engagée dès le second Empire, s’…

Le Général Marchand
Le Général Marchand
Les Troupes coloniales françaises

Les Troupes coloniales françaises

En 1914-1918, les opérations militaires n’ont pas été très importantes en Afrique. En revanche, les soldats originaires des colonies ont joué un…

Une promenade mondaine dans un jardin parisien

Une promenade mondaine dans un jardin parisien

Une scène de la vie parisienne acquise par l’État lors de l’Exposition universelle de 1855

Lors de l’Exposition universelle de 1855, première…

Les tirailleurs sénégalais dans la guerre de 1914-1918

Les tirailleurs sénégalais dans la guerre de 1914-1918

Cette peinture de Félix Vallotton est datée de juin 1917, quelques semaines à peine après les offensives d’avril-mai sur le front de l’Aisne et de…

Le marronnage

Le marronnage

Le marronnage, résistance à l’esclavage

La fuite hors des espaces contrôlés par les maîtres est facilitée en Guyane par la géographie qui fait…

Le marronnage
Le marronnage
Le marronnage
La guerre juste

La guerre juste

Le choc des cultures

Dans une nation moins déchristianisée que la France, où la foi ne constitue pas le principe de ralliement d’un parti (comme…

La guerre juste
La guerre juste
La guerre juste
Les Tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre

Les Tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre

Les troupes coloniales au secours de la métropole

La France a pris pied au Sénégal sous l’impulsion de Colbert, sous le règne de Louis XIV. À…

Les Tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre
Les Tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre
Géricault et l’abolitionnisme

Géricault et l’abolitionnisme

Entre les deux abolitions de l’esclavage

Le 4 février 1794, la Convention abolit l’esclavage en France et dans ses possessions ultramarines avant…