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Départ d'un républicain pour la prison du Mont-Saint-Michel.

Départ d'un républicain pour la prison du Mont-Saint-Michel.

Jeanne, à la prison de Sainte-Pélagie.

Jeanne, à la prison de Sainte-Pélagie.

Jeanne, 1833.

Jeanne, 1833.

Départ d'un républicain pour la prison du Mont-Saint-Michel.

Départ d'un républicain pour la prison du Mont-Saint-Michel.

Date de création : 1833

Date représentée : 1833-1834

H. : 47,5 cm

L. : 30,5 cm

gravure sur bois.Reprise modifiée d'un texte de lettre au Ministre et des noms des signataires, prisonniers politiques au Mont-saint-Michel. Louis- Auguste Mie, imprimeur.Paris, impr. De Mie, s.d.

Domaine : Estampes-Gravures

© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie

http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr

CC 5855/d.2/pièce 272

Un “ canard ” républicain (1833)

Date de publication : Janvier 2005

Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS

Un "canard" républicain

Un "canard" républicain

Adolphe Thiers, chargé des prisons en 1833, comme secrétaire d’état au Commerce et aux Travaux publics, décide de faire de la prison centrale du Mont-saint-Michel la première forteresse destinée à recevoir les condamnés pour subversion politique. Il fait installer pour ces prisonniers politiques un logement à part et veille personnellement à leur ménager un régime spécial.

En 1833, 23 prisonniers républicains, travailleurs manuels, pour la plupart, sont conduits au Mont. L’administration y place aussi des légitimistes, partisans de Charles X évincé en 1830, en plus grand nombre (54 entre 1830 et 1835), car elle compte sur la domination légitimiste pour maintenir le calme chez leurs adversaires. Un mode d’incarcération spécifique s’ébauche alors, faisant l’objet de débats à la Chambre et de nombreux commentaires dans la presse. Les prisonniers demeurent en rapport constant avec les journalistes parisiens.

Un “ canard ”

La mise en page de cette feuille de format in-folio est caractéristique : gravure sur bois non coloriée, titre particulièrement long (placé à la suite d’une ligne en gros caractères), et texte développé placé sous l’image : c’est un “ canard ”. Ainsi désigne-ton au XIXe siècle ces feuilles volantes non-périodiques qui donnent dans les nouvelles sensationnelles à propos d’événements ou de faits divers. Vendues très peu cher, elles cherchent à séduire le lecteur par des détails horribles ou pathétiques, souvent fabriqués de toute pièce. Leur diffusion se développe si bien, à partir de 1830, que certains éditeurs s’y consacrent entièrement et emploient des graveurs sur bois, eux-mêmes spécialistes.
Le titre fleuve est coupé de nombreux points-virgules, car les “ canards ” sont vendus par des crieurs qui ont pour habitude de scander de façon rythmée les éléments frappants du titre pour accrocher l’attention des clients.
Anonyme et sans date, cette feuille a été légalement enregistrée au dépôt des imprimeurs le 22 octobre 1833, par Louis-Augustin Mie, pour être diffusée en 1000 exemplaires. Ce n’est pas un spécialiste des “ canards ” mais l’imprimeur de La Tribune, journal républicain qui publie des articles sur la prison du Mont-saint-Michel, entretient une correspondance avec les détenus et leur envoie des subsides.
L’image colporte une scène pathétique de séparation, bien dans le style des “ canards ” ! Un républicain doit suivre deux gendarmes affublés de bonnets à poils …que la gendarmerie ne porte plus depuis deux décennies ! Vêtu d’un semblant d’uniforme et d’un casque, il se distingue comme sa femme par une curieuse coiffure protubérante qui évoque peut-être le bonnet phrygien.
Le texte est plus allusif que précis sur les traitements faits à ces anciens combattants glorieux de 1830. Ils seraient partis “ enchaînés comme des brigands ” prétend le canard. C’est faux, ils sont partis dans des voitures, deux républicains et deux légitimistes par voyage, après s’être affublés les premiers, de bonnets rouges et les seconds, de bonnets verts !
La lettre au ministre, Thiers, est une composition de propagande, bien différente de l'original. Deux des prisonniers, Jeanne et Hassenfratz y sont désignés comme francs-maçons par trois points après leurs initiales. Les aménagements évoqués, la construction d’une claire-voie et d’une grille au parloir, ne constituent pas, à cette date, des menaces inquiétantes. Le “ canard ” préfère agiter une vieille terreur : la cage de fer de Louis XI qui a marqué l’imaginaire du Mont-saint-Michel. Louis-Philippe visitant le Mont à dix-sept ans, avec ses frères et leur préceptrice, Madame de Genlis, en 1788, avait alors fait détruire cet objet de la fin du Moyen Age. Le texte suggère que le roi qui s’est insurgé contre l’arbitraire des siècles obscurs dans sa jeunesse, agit aujourd’hui de même contre les républicains.
Le "canard" joue aussi sur l’aura inquiétante du Mont qui combine son isolement, son architecture cyclopéenne, les dangers des sables mouvants et la marée furieuse. Mie peut bien “ s’abstenir de toute réflexion ”, au terme de ce texte : le lecteur du “ canard ” devait être en proie à la terreur et à l’indignation !

Portraits de Jeanne

Ce républicain emmené au Mont-saint-Michel a pu être inspiré par le détenu Jeanne qui souhaite apparaître comme le chef de file des prisonniers républicains. Il fait dessiner son portrait par Lecler à la prison parisienne de Sainte-Pélagie, en 1833, avant son départ pour le Mont ; il y apparaît en civil, coiffé d’un phécy orné d’une cocarde. En revanche, sur la lithographie destinée à populariser ses traits, sa veste a été transformée en “ petite tenue ” militaire et il arbore en la revendiquant la Croix de Juillet, créée pour les héros des glorieuses journées de 1830. Pourtant une rature est visible sur le dessin original à l’emplacement de la croix. Curieuse incohérence à laquelle les archives apportent l’explication. Plusieurs prisonniers se prétendent “ décorés de juillet ” aussi bien sur ce “ canard ” que dans leurs courriers au ministre Thiers et au journal la Tribune. Mais la Commission des récompenses nationales n’a en fait reconnu comme combattant de 1830 que E. C. P. Jeanne à qui elle a accordé une pension, pour avoir été blessé de quatre coups de feu, mais non la Croix de Juillet.
Jeanne sera très contesté par les républicains pendant son incarcération au Mont car il use de manœuvres frauduleuses pour s’approprier l’argent envoyé par La Tribune et même celui de ses co-détenus ! L’administration sera obligée de le changer de prison.

De façon originale mais non unique, ce “ canard ” fait de la propagande républicaine en utilisant le support de l’information à sensation. Il vise un public populaire de travailleurs manuels auquel appartiennent les prisonniers républicains du Mont.
Le texte est subversif mais les charges sont stéréotypées. Ne visant pas un problème précis le canard cherche plutôt à assurer le régime spécial des “ politiques ”, à l’occasion de la deuxième vague d’incarcération au Mont (octobre 1833). Tout au plus peut-il faire pression sur Thiers qui aime invoquer “ l’esprit de Juillet ” pour se distinguer des réactionnaires.
Recourir aux “ canards ” pour diffuser des idées politiques montre, plus en profondeur, la volonté des journalistes républicains de créer un état de l’opinion qui devienne un fait. L’image y contribue fortement car elle soulève les passions, les détails des faits créent le mythe. Espoirs et peurs y prennent forme, influençant les choix inconscients de l’âme collective. Sur la question de l’emprisonnement des politiques, c’est un moyen efficace pour créer une emprise sur l’opinion que des écrits ultérieurs pourront continuer à modeler.

Jean-Claude VIMONT La prison politique en France. Genèse d’un mode d’incarcération spécifique (XVIIIe-XXe siècles) Paris, Anthropos, 1993

Luce-Marie ALBIGÈS, « Un “ canard ” républicain (1833) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/canard-republicain-1833

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