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Les Petits Patriotes.

Les Petits Patriotes.

Scène de Paris.

Scène de Paris.

Les Petits Patriotes.

Les Petits Patriotes.

Date représentée :

peinture à l'huile sur toile

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais - D. Arnaudet

Lien vers l'image

86-000525

Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet

Date de publication : Novembre 2010

Auteur : Myriam TSIKOUNAS

Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet

Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet

Philippe-Auguste Jeanron, qui sera l’éphémère directeur des Musées nationaux en mars 1848, est un républicain de la première heure[1]. Dès les années 1820, il se lie d’amitié avec Philippe Buchez, inspirateur des Ateliéristes[2], et avec le révolutionnaire Filippo Buonarroti, dont il signe le portrait (toile exposée au Louvre). Il sympathise aussi avec de futurs responsables de la IIe République tels Marrast et Ledru-Rollin[3].
Comme nombre de démocrates sociaux, le peintre, qui a pris part aux « Trois Glorieuses », est rapidement déçu par la monarchie de Juillet. Mais s’est-il jamais illusionné sur ce régime ? Si Les Petits Patriotes, toile exposée au Salon de 1831, est moins désespérée que Scène de Paris, primée au Salon de 1833, elle n’en est pas moins lourde d’ambiguïtés.

Le centre des Petits Patriotes est occupé par un enfant debout et de profil. Ce garçonnet, muni d’une arme et d’une cartouchière, coiffé d’un bicorne de polytechnicien, fait face à un bambin endormi, la joue posée sur un bloc de pierre. Derrière eux, deux autres petits sont assis et font le guet. Le premier, visage rose et grave, regarde en direction du peintre et du spectateur pris à témoin. Le deuxième, qui a entrelacé trois rubans au bout de son fusil pour former un drapeau tricolore, scrute un hors-cadre que nous ne découvrirons jamais
Comme en témoignent leurs vêtements arrachés et leurs épaules dénudées, ces chérubins, tout au plus âgés d’une dizaine d’années, viennent de se battre pour la Liberté. Mais, contrairement à la plupart des artistes qui ont illustré l’événement, Jeanron n’a pas placé ces fils du peuple au côté du garde national et de l’étudiant des Ecoles – qui s’est ici contenté de prêter sa coiffe. Les quatre héros, pourvus du fusil des adultes et non des traditionnels pistolets, tiennent seuls le siège, de nuit, dans une rue non localisable malgré la présence, au loin, de la coupole dorée d’une église.
Au fond du champ, devant une foule sans visages individualisés et à proximité d’un cheval mort, deux gamins gisent, l’un sur le dos, l’autre sur le ventre. Avec leurs chemises blanches, leurs pantalons, bleu pour l’un, rouge pour l’autre, ces deux victimes dessinent un nouvel étendard.

Dans Scène de Paris, les enfants dominent aussi la composition. Deux garçons et une fille entourent un pauvre bougre, vraisemblablement leur père. Deux d’entre eux ont les paupières closes, mais, à la différence du « petit patriote », ils ne se sont pas assoupis, tard dans la nuit, du sommeil du juste. Faute de toit pour les abriter, ils somnolent en plein jour, adossés à la pierre d’un parapet qui longe la Seine. La cocarde tricolore sur le chapeau, le pansement qui dépasse de la coiffe… tout rappelle que l’homme fut l’un des émeutiers de Juillet. Mais si, chez Jeanron, les bourgeois de 1830 n’apparaissent pas sur les barricades au côté des humbles, ceux de 1833 dédaignent effrontément les indigents qui se sont battus pour eux. Un couple de nantis s’éloigne, sans un regard pour cette famille nécessiteuse, vers les beaux quartiers, vers l'ouest de la capitale. Les quatre miséreux, quant à eux, tournent le dos à la Chambre des députés, sur l’autre rive, reconnaissable au pont de la Concorde à l’arrière-plan, alors très fleuri et orné de statues.
Tandis que les « petits patriotes » regardaient fièrement, hors champ, l’ailleurs, la capitale…, dans Scène de Paris, les deux seuls personnages éveillés n’ont plus les yeux rivés que sur le sol.

Entre 1831 et 1833, Auguste Jeanron, comme bien d’autres, est donc passé de la simple méfiance à la lutte ouverte contre le régime. Si Les Petits Patriotes suggère que les « Trois Glorieuses » n’ont pas aboli les distances sociales, Scène de Paris convainc que des frontières étanches séparent désormais « ventres creux » et « ventres dorés » – qui ont trouvé en Louis-Philippe le défenseur de leurs intérêts, le « roi-bourgeois » ayant fait fi de la réforme électorale et parlementaire réclamée par l’opposition. Ce second tableau trahit également l'aggravation de la crise économique, caractérisée par la hausse du prix du pain, la baisse des salaires et le chômage croissant dans les grandes villes.
En pleine période de répression et de violence[4] et défiant la censure qui sévit à nouveau, les peintres républicains ont donc résolu de lutter avec leurs armes[5] : peintures au vitriol pour Jeanron, caricatures et bustes-charges de députés chez Daumier[6]…
Scène de Paris autorise encore une autre lecture : la famille mise en scène est incomplète et l’absence de mère nous rappelle que le choléra, qui a éclaté dans la capitale en mars 1832, a fait un nombre très élevé de victimes[7], principalement chez les humbles.

Jean-Claude CARON La France de 1815 à 1848 Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1996.

Marie-Claude CHAUDONNERET « Auguste Jeanron », in 1815-1830.

Les années romantiques , catalogue de l’exposition au Musée des Beaux-Arts de NantesParis, RMN, 1996, p.407.

Myriam TSIKOUNAS, « Les espoirs déçus de la monarchie de Juillet », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/espoirs-decus-monarchie-juillet

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