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Lettre autographe d'Armand Barbès à Emmanuel Arago

Lettre autographe d'Armand Barbès à Emmanuel Arago

Portrait d'Edmond Barbès en prison

Portrait d'Edmond Barbès en prison

Tête de pipe à l'effigie d'Armand Barbès

Tête de pipe à l'effigie d'Armand Barbès

Tête de pipe à l'effigie d'Emmanuel Arago

Tête de pipe à l'effigie d'Emmanuel Arago

Lettre autographe d'Armand Barbès à Emmanuel Arago

Lettre autographe d'Armand Barbès à Emmanuel Arago

Date de création : 1842

Date représentée : 01 décembre 1842

Lettre autographe signée d'Armand Barbès à Emmanuel Arago, avocat, depuis la prison du Mont-saint-Michel

Domaine : Archives

© Archives départementales de la Manche

AD Manche 2J 515

Armand Barbès prisonnier au Mont-Saint-Michel (1839-1843)

Date de publication : Novembre 2004

Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS

Armand Barbès prisonnier au Mont-Saint-Michel

Armand Barbès prisonnier au Mont-Saint-Michel

L’isolement cellulaire

Face aux attentats incessants et aux émeutes à répétition, les gouvernants conservateurs de la fin des années 1830 veulent mettre un terme au régime pénitentiaire spécial élaboré par Adolphe Thiers. Les quartiers de condamnés politiques apparaissent suspects car commodes pour fomenter des complots. L’« isolement continu » des condamnés dans des cellules séparées s’impose.

La monarchie de Juillet expédie loin de Paris, sur l’îlot entouré de murailles du Mont-Saint-Michel, les opposants les plus dangereux : meneurs républicains, détenteurs de poudre et de munitions soupçonnés de préparer des « machines infernales » ou des tentatives de régicide et condamnés à mort graciés. Au total, trente-huit détenus entre 1838 et 1844, travailleurs manuels de la capitale pour la plupart et âgés en moyenne de 27 ans et demi. En plaçant les détenus dans le silence et l’isolement et en brisant les tempéraments les mieux trempés, la prison parviendra-t-elle à maîtriser la menace révolutionnaire politique et sociale ?

Armand Barbès (1), condamné à mort en 1839 pour tentative d’insurrection et amnistié par Louis-Philippe, est envoyé au Mont-Saint-Michel le 17 juillet 1839 avec trois autres condamnés dont Martin-Bernard, qui laissera un récit détaillé de son séjour. Blanqui et cinq autres insurgés les rejoignent le 6 février 1840.

Les détenus luttent dès leur arrivée contre les rigueurs de l’isolement cellulaire, se parlant par les croisées, les conduits de cheminée et à travers les parois et contactant aussi les habitants du Mont. Barbès, Martin-Bernard et Delsade réussissent à ouvrir les portes de leurs chambres pour se réunir. Découverts en avril 1841, ils sont sanctionnés par un premier emprisonnement dans les loges du Mont. L’administration fait alors équiper leurs cellules du Petit et du Grand Exil de doubles grilles, pour empêcher les prisonniers de s’approcher des croisées. Dans la nuit du 10 au 11 février 1842, Barbès, Blanqui et quelques autres tentent de s’évader, par temps de brouillard, à l’aide d’une corde de draps noués. Barbès descend le premier mais se blesse en tombant et fait échouer la tentative. Tous sont à nouveau enfermés dans les loges où Barbès contracte cette fois la phtisie. Toute la presse d’opposition condamne le régime cellulaire et les doubles grilles.

Lettre d’Armand Barbès à Emmanuel Arago (1er décembre 1842)

Barbès adresse cette missive chaleureuse à l’avocat qui, après l’insurrection manquée de 1839, a eu l’audace d’assurer la cause perdue de sa défense : Emmanuel Arago (1812-1896), fils du célèbre physicien et astronome. Son écriture anglaise, assez fréquente au XIXe siècle, mais originale par ses hautes lettres régulières très bien tracées, révèle sa personnalité forte, ouverte, portée vers les autres et particulièrement assurée.

Barbès évoque avec sobriété les souffrances de l’incarcération et de la phtisie laryngée qu’il a contractée en 1842 lors de son séjour dans « ces abominables loges » : des cellules aménagées dans les combles de la galerie nord du cloître où les prisonniers devaient, selon les saisons, endurer le froid humide et glacial ou la chaleur torride. Tout au plus avoue-t-il sa préférence pour la camisole de force ou même le bourreau (M. Samson) à cette maladie insidieuse qui consume ses forces. Son épuisement physique et moral s’exprime dans ce « nous mourons en détail » (peu à peu, à petit feu), formule publiée par le journal L’Atelier, organe des intérêts moraux et matériels des ouvriers de novembre 1841 et qui avait fait grand bruit : [le pouvoir] « a fait grâce de la vie à Barbès, mais ça a été pour essayer de le tuer en détail ».

Comme paraissent lointaines au prisonnier la grande ville et « la lutte de la démocratie contre la bourgeoisie » ! L’infâme reprend le cri de ralliement lancé par Voltaire contre la superstition, le fanatisme et l’intolérance. Barbès évoque des amis dont le publiciste et philosophe Pierre Leroux, adepte du saint-simonisme et ami de George Sand, comme Arago et lui-même. Il donne des nouvelles de ses compagnons incarcérés, Hubert Louis et Martin-Bernard, mais ne mentionne pas Blanqui avec qui il est brouillé depuis l’émeute du 12 mai 1839.

Ce ton mesuré témoigne de la bravoure exceptionnelle du « Bayard de la Démocratie » qui vient de vivre trois ans et demi de très dur emprisonnement. Révolutionnaire sans véritable projet, Barbès a laissé peu d’écrits politiques, mais son abondante correspondance, souvent diffusée par les comités républicains, a fait de lui un personnage très populaire pendant plusieurs décennies. Son aura ne s’effacera qu’à la fin du siècle, devant le socialisme montant.

Le 26 janvier 1843, moins de deux mois après cette lettre, son état ayant empiré, Barbès est transféré à la maison centrale de Nîmes.

Portrait de Barbès jeune

On ne possède pas de portrait de Barbès au Mont mais un dessin antérieur fait à la pierre noire par le caricaturiste Traviès, pendant son incarcération à Paris en 1835. Il le montre avec des cheveux encore longs et une silhouette que les privations n’ont pas encore amincie. La sombre atmosphère de l’œuvre où seul le visage est éclairé souligne le sort indigne fait au prisonnier et lui confère déjà une aura mélancolique.

Deux têtes de pipes courtes

Ces têtes de pipe dont le fourneau reproduit les têtes d’hommes politiques alors bien connus sont très en vogue au milieu du XIXe siècle. Très ressemblants, le visage d’Armand Barbès, tel qu’il apparaît après son incarcération au Mont, et celui d’Emmanuel Arago montrent la place des deux personnages dans la ferveur populaire… au point que ces têtes de pipe feront partie des objets compromettants après le coup d’État de Napoléon III (1851) !

L’échec du régime cellulaire

Les luttes des prisonniers firent une très mauvaise publicité au régime de séparation au sein de la centrale. L’isolement cellulaire fut abandonné au Mont, et le gouvernement préféra fermer le quartier politique.

Les avancées libérales du début du règne avaient été remises en cause, mais dix années de luttes périlleuses des prisonniers politiques que rien n’était parvenu à briser contribuèrent au maintien final des régimes politiques de détention.

L’échec de la mise en place de l’utopie cellulaire entre 1839 et 1847 eut aussi pour conséquence de faire triompher les solutions de déportation. À partir de la décennie suivante, les déportations de masse, en Algérie, puis en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, se substituèrent à l’emprisonnement politique.

Catalogue de l’exposition Armand Barbès et la Révolution de 1848, Carcassonne, Musée des Beaux-Arts de Carcassonne-Archives départementales de l’Aude, 1998.

MARTIN-BERNARD, Dix ans de prison au Mont-Saint-Michel et à la citadelle de Doullens, 1839 à 1848, Paris, 1861.

Jean-Claude VIMONT, La Prison politique en France. Genèse d’un mode d’incarcération spécifique (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Anthropos, 1993.

Luce-Marie ALBIGÈS, « Armand Barbès prisonnier au Mont-Saint-Michel (1839-1843) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/armand-barbes-prisonnier-mont-saint-michel-1839-1843

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