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Caraïbes

Caraïbes

Jardin zoologique d'acclimatation. Hottentots

Jardin zoologique d'acclimatation. Hottentots

Jardin zoologique d'acclimatation. Lapons

Jardin zoologique d'acclimatation. Lapons

Caraïbes

Caraïbes

Date de création : mars 1892

Date représentée : mars 1892

H. : 22,5 cm

L. : 29,5 cm

tirage sur papier baryté monté sur carton ; cliché pris à l'occasion d'une exhibition de Caraïbes en mars 1892 ; tirage de 1932

Domaine : Photographies

© Musée du Quai Branly - Jacques-Chirac, dist. RMN - Grand Palais / image musée du Quai Branly - Jacques-Chirac

lien vers l'image

16-547782 / PP0079538

L’ethnographie-spectacle

Date de publication : Juin 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

Naissance d’une industrie du loisir

Les échantillons de peuples exotiques présentés au Jardin d’acclimatation à partir de 1877 faisaient l’objet d’une mise en scène permanente dont témoignent photographies et affiches publicitaires.

Avec sa collection de clichés anthropologiques – ici, des Indiens caraïbes photographiés en 1892 –, le prince Roland Bonaparte (1858-1924) a cherché à faire connaître d’autres modes de vie et à les décrire le plus précisément possible.

Mais, à l’âge d’or des Expositions universelles, de la colonisation des autres continents et de l’essor de la science, les exhibitions ethnographiques font surtout partie de la gamme des divertissements offerts aux citadins d’Europe. L’auteur des deux affiches de 1888 (Hottentots) et 1889 (Lapons), confiées à l’imprimeur lithographe Sicard, s’est clairement inspiré du style en vogue à l’époque pour les spectacles parisiens, mêlant composition dynamique en épisodes, sens du détail et couleurs contrastées.

Les deux types d’images cherchent à fidéliser les spectateurs en leur promettant de la nouveauté et de l’inédit, de se faire explorateurs à deux pas de la Ville Lumière.

Faire événement

Le cliché du géographe Bonaparte organise une mise en scène au beau milieu du théâtre dans lequel doivent évoluer les dix-sept Caraïbes qu’il photographie. La composition multiplie les lignes horizontales (scène, pirogue, fil) et verticales (rideaux, palmiers, pagaies), et rend tout à fait artificielle cette scène de traversée transplantée hors de l’eau et des Amériques. Le décor européen du XIXe siècle domine les acteurs assis, massés dans une embarcation que l’on imagine typique des temps préindustriels. Si les plus âgés des hommes tentent d’imiter leurs gestes naturels (bander son arc, ramer, imposer son autorité de chef), la ligne de poteries artisanales suspendues, probablement destinées à la vente qui plus est, vient totalement ruiner l’effet de réel recherché.

De format vertical, l’affiche Jardin zoologique d’acclimatation. Hottentots présente dans le sens de la hauteur deux scènes impliquant uniquement des hommes (bataille, en haut) ou des femmes (vie au village, en bas). Sa composition reprend une formule déjà éprouvée à la fois pour les théâtres et autres caf’conc’ et pour le Jardin zoologique, dont le nom jaillit clairement tout en haut et en rouge. Au milieu, le nom du peuple exposé chaque saison est ici légèrement stylisé, avec un arrondi qui semble faire écho aux formes très rebondies des profils féminins. L’affiche promet aux visiteurs de se transporter en pleine jungle, avec un encadrement de végétation exotique qui gomme la véritable situation aux portes de Paris. Avec leurs peaux de bêtes et leur nudité, leurs armes et leur habitat archaïques, ces Africains symbolisent un monde sauvage enfin à portée de regard.

La saison suivante voit venir à Paris des Lapons de Röraas, en Norvège. L’affiche qui annonce cet événement reprend des principes identiques à la précédente, mais en jouant cette fois sur les effets de neige et de glace (détourage blanc du mot « d’acclimatation ») et en remplaçant la végétation par un cadre de branches taillées utilisées dans l’habitat lapon. Au lieu d’une bataille rejouée, la scène du haut expose l’un des traits majeurs de leur mode de vie : le nomadisme sur traîneau et le lien étroit avec les rennes en partie domestiqués. L’atmosphère pacifique et les visages peu typés, la peau blanche et des éléments de costume induisent une distance temporelle et non ethnique avec l’Européen de la fin du XIXe siècle. Les multiples détails décoratifs suggèrent que ce peuple est doué de culture, contrairement aux Africains dont on avait fait la publicité l’année précédente.

Une attraction touristique rentable

C’est la seconde fois que des Lapons sont présentés à Paris, après l’immense succès de 1878, alimenté par l’Exposition universelle (985 000 visiteurs pour deux exhibitions, Lapons l’hiver et Gauchos l’été).

Le tournant vers l’exploitation commerciale a lieu en 1886, avec les Cinghalais : on imprime un programme proclamant que l’exposition se voulait « un voyage autour du monde sur la pelouse du jardin, un tour du monde en quelques heures ». La venue des Ashantis (1887) et l’illustration vivante de l’aventure coloniale en Afrique de l’Ouest donnent le ton spectaculaire et sensationnel des exhibitions de la décennie suivante. Le Jardin d’acclimatation subit alors la concurrence du Champ-de-Mars et du Casino de Paris, qui accueillirent en 1893 des Dahoméens en partance pour l’Exposition universelle de Chicago. C’est d’ailleurs à celle de Paris, en 1889, qu’apparaissent les villages des peuples colonisés par la France républicaine.

S’il est difficile de mesurer l’adhésion du public aux thèses de la domination colonialiste, la fréquentation toujours élevée, les exceptionnelles ventes de cartes postales et la masse d’articles de journaux témoignent d’un enthousiasme certain pour cette rencontre où la grille matérialise une hiérarchie évidente.

La professionnalisation de cette attraction a plusieurs conséquences. Les indigènes y gagnent petit à petit de meilleures conditions et, parfois, un statut. C’était déjà le cas des Lapons, peuple du Nord de l’Europe, qui ont auparavant « tourné » en Scandinavie et dont les agents ont négocié une paie. Les Caraïbes transplantés en 1892 ont, eux, été abusés par un Blanc qui avait gagné leur confiance, et les Hottentots exhibés en 1889 ont probablement été recrutés de force. Pour éviter les rebellions et diminuer les risques de dépression, les organisateurs ont rapidement exigé que des familles entières fassent le voyage. De ce fait, certains groupes se sont spécialisés dans l’incarnation de tribus à l’identité assez floue et se sont transmis les « trucs » de cette nouvelle profession : sauvage figurant. Les belles sommes d’argent récoltées, dont se félicite chaque année le fondateur du jardin, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, rendent sans doute les organisateurs d’exhibitions plus compréhensifs face à des demandes au final assez limitées.

Le public veut admirer des bêtes sauvages, mais se trouve désemparé par la simple humanité de ces hommes, femmes et enfants parqués derrière une grille. Les commentaires publiés dans la presse dénotent une prise de conscience de la grande relativité des différences entre races. L’intégration à une industrie du spectacle bien rodée alimente donc un racisme explicite, autant qu’il le remet en cause de façon implicite.

BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, BOËTSCH Gilles, DEROO Éric, LEMAIRE Sandrine (dir.), Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 (2e éd. refondue et augmentée ; 1re éd. 2002 sous le titre Zoos humains : au temps des exhibitions humaines).

BLANCHARD Pascal, BOËTSCH Gilles, JACOMIJN SNOEP Nanette (dir.), Exhibitions : l’invention du sauvage, cat. exp. (Paris, 2011-2012), Arles, Actes Sud / Paris, musée du Quai Branly, 2011.

HODEIR Catherine, PIERRE Michel, L’Exposition coloniale (1931), Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « La mémoire du siècle » (no 58), 1991.

Alexandre SUMPF, « L’ethnographie-spectacle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/ethnographie-spectacle

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