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Entrevue de Jacques Cartier et des chefs canadiens

Entrevue de Jacques Cartier et des chefs canadiens

Jacques Cartier découvre le fleuve Saint-Laurent, 1535

Jacques Cartier découvre le fleuve Saint-Laurent, 1535

Jacques Cartier

Jacques Cartier

Entrevue de Jacques Cartier et des chefs canadiens

Entrevue de Jacques Cartier et des chefs canadiens

H. : 7 cm

L. : 10,5 cm

carte réclame de la collection « Les explorateurs célèbres », éditée par Romanet

Domaine : Estampes-Gravures

© Mucem, dist. RMN - Grand Palais / image Mucem

lien vers l'image

18-504918 / 1995.1.648.4

Jacques Cartier

Date de publication : Décembre 2019

Auteur : Alexandre SUMPF

L’invention du Canada

Symbole de la redécouverte d’un passé commun à la France et au Québec, la mythification de la figure de l’explorateur Jacques Cartier (1491-1557) est d’autant plus forte qu’aucun document iconographique sur lui n’est parvenu jusqu’à nous. Ce thème pictural, d’abord circonscrit à sa ville natale de Saint-Malo, se fonde en outre sur une représentation de 1839 aujourd’hui perdue. L’image réalisée par François Riss a été copiée plusieurs fois des deux côtés de l’Atlantique Nord, notamment par Auguste Lemoine.

Au même moment, Cartier fait logiquement son entrée au musée de l’Histoire de France imaginé par Louis-Philippe à Versailles. C’est le baron Théodore Gudin, peintre de la marine, qui reçoit la mission de réaliser un tableau pour les Galeries historiques et le livre en 1839.

La continuité partielle de la mémoire nationale entre monarchie de Juillet, Empire et IIIe République maintient suffisamment sa légende pour que Cartier se retrouve au cœur d’une série illustrée autour des grands explorateurs… français et britanniques du XIXe siècle. Il apparaît donc comme le précurseur d’un siècle courant jusqu’en 1914, où l’ensemble du globe a fini par être connu, où la colonisation européenne n’a eu aucune limite et où la compétition ultramarine entre France et Grande-Bretagne a atteint un sommet.

La frénésie qui entoure son portrait au Québec, prélude au culte de Samuel de Champlain, et un exploit digne de Christophe Colomb contribuent à la bonne fortune d’un personnage assez mal connu. Sans doute suite à l’échec final de ses trois missions de 1534-1536 et 1541-1542 sur le continent nord-américain et de sa mort loin de la cour, la figure de Jacques Cartier est restée plongée plus de trois siècles dans l’oubli. Si un projet de célébration manque d’aboutir en 1835 pour le tricentenaire de la découverte du Saint-Laurent, il faut attendre la réédition de son récit de voyage en 1843 à Québec pour que Québécois et Français établissent la renommée de « découvreur du Canada » de Cartier.

Un homme qui a fait l’histoire

Les trois œuvres convoquées pour l’étude, de nature différente (une estampe destinée à la reproduction mécanique et deux peintures à l’huile vouées à l’accrochage public), dessinent deux facettes de la geste de Jacques Cartier : l’aventurier solitaire visionnaire et la découverte d’un monde inconnu, avec ses paysages grandioses et ses peuplades exotiques.

La marine de grande dimension brossée par Théodore Gudin pour les salles du palais de Versailles place en majesté l’embouchure du fleuve Saint-Laurent dont Cartier a, le premier, établi la cartographie moderne. Dans l’immensité (exagérée) de ces paysages de montagnes rocheuses difficiles à aborder, d’une eau omniprésente et d’un ciel infini, les humains n’occupent qu’une frêle partie de l’image. Au premier plan, les indigènes emplumés saluent pacifiquement les nouveaux venus avec un incongru drapeau blanc ; au second plan, ceux-ci remontent le fleuve à bord de canoës indiens, comme s’ils avaient déjà été adoptés. Plus qu’un épisode historique, l’artiste s’est appliqué à faire preuve de sa maîtrise des reflets et des effets nuageux, comme si seul importait le paysage lointain enfin à portée d’yeux européens.

Le portrait réalisé en 1895 par Auguste Lemoine s’inspire de l’original de Riss qui devait tout à l’imagination de l’artiste. Ce portrait a également inspiré une copie de Théophile Hamel, datée de 1848 – une époque à laquelle le peintre canadien voyage en Europe, avant de rentrer et de faire de ce tableau une icône nationale. Si la posture est exactement la même, face à l’océan et dans ses pensées, sur fond de ciel et de vagues, la version de Lemoine adopte des tons très sombres et se fait plus réaliste dans la peinture de l’océan. Le costume d’époque, ou du moins sa représentation au XIXe siècle, s’efface ici au profit d’un visage manifestant l’expectative. Le cadrage, où n’apparaît aucun autre personnage, accentue l’isolement de l’explorateur face aux éléments et au destin. Pièce unique et version originale d’un homme privé d’image, ce portrait, copié à plusieurs reprises et très largement diffusé au Canada, a tout d’une icône mythologique.

L’estampe anonyme éditée par la maison Romanet fait partie d’une série d’au moins dix-neuf images consacrée aux grands explorateurs. Toutes s’articulent autour d’un médaillon encadré de lauriers représentant le héros célébré avec ses dates, et d’une scène de son épopée – lutte inégale contre les éléments naturels ou rencontre plus ou moins heureuse avec des indigènes. Jacques Cartier, assisté de deux autres Européens à l’arrière-plan, conduit ici une « entrevue » avec des « chefs canadiens », quand Duveyrier ne peut, lui, que « palabrer avec les Touaregs » et que tous les autres aventuriers sont « en danger » ou « massacrés ». Placés sur un pied d’égalité, les deux personnages, en costumes typiques des planches rapportées du Nouveau Monde, accueillent dans le cadre de leurs montagnes l’envoyé du roi de France. Les couleurs pastel de la série donnent un ton naturel à un épisode pourtant extraordinaire, normalisant en quelque sorte l’exploit de navigation réalisé au XVIe siècle pour mieux souligner l’importance de l’événement diplomatique.

Le mythe de la Grande France

La série d’estampes ne propose pas, comme on pourrait s’y attendre, Christophe Colomb ou Vasco de Gama, mais uniquement des explorateurs du XIXe siècle. Les images conservées au Mucem suggèrent que la série a été réalisée entre 1904, date du décès de Stanley reportée sur son portrait, et 1914, date du décès de Foureau (son portrait ne mentionne que sa date de naissance). Outre le Britannique Livingstone et son compère Stanley, auteurs de la plus grande découverte du siècle, et le Portugais Serpa Pinto, récemment décédé en pleine expédition, la série célèbre uniquement des Français et comprend même une femme, Jane Dieulafoy.

Jacques Cartier se distingue donc à plusieurs titres : il a conduit ses expéditions au XVIe siècle, a survécu à ses trois traversées et à l’hiver canadien, a entretenu des relations suffisamment pacifiques avec les indigènes pour en convaincre certains de faire le voyage de retour avec lui. En cela, il s’inscrit dans l’idée romantique d’un destin particulier des Français en Amérique, distinct de la violence des Anglais. Il est aussi à l’origine des personnages de « coureurs des bois » français qui peuplent la littérature populaire de l’Ouest de la France.

Jacques Cartier est présenté comme un précurseur non de la découverte de nouvelles terres, mais de l’installation française outremer. Sa légende alimente deux nationalismes distincts qui ont tout intérêt à s’associer : celui des Québécois francophones, qui forment une minorité dans la population du Canada, dominion britannique ; et celui des Français, qui luttent de toutes leurs forces, lors du deuxième âge colonial, pour l’emporter sur la puissance maritime britannique. Réactiver la figure oubliée de Jacques Cartier au moment où la marine prend pied en Algérie présente ainsi l’avantage de rappeler l’antériorité française en la matière.

Le nom du pays (qui signifie « bourg » en langue locale) a été étendu par le Malouin à toute la contrée, ce qui est finalement jugé plus important que les installations vikings antérieures. Il légitime également les nouvelles ambitions françaises en Amérique… latine, de Napoléon III au Mexique en 1867 à l’idée du canal de Panama lancée en 1880 par Ferdinand de Lesseps.

Enfin, la foi catholique (et non protestante) de Cartier permet de le faire passer pour un évangélisateur (ce qu’il n’était pas vraiment dans les faits). Si, en 1889, il est encore le découvreur de la ville de Québec, en 1934, récupéré par l’État fédéral (anglophone), il est celui du Canada.

GORDON Alan, « Heroes, history, and two nationalisms: Jacques Cartier », Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, vol. 10, no 1, 1999, p. 81-102, DOI : https://doi.org/10.7202/030509ar.

MATHIEU Jacques, La Nouvelle-France : les Français en Amérique du Nord (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Belin / Laval, Presses de l’université Laval, coll. « Belin sup », 1991.

ROBERT Jacques, « L’invention d’un héros », dans BRAUDEL Fernand, MOLLAT DU JARDIN Michel (dir.), Le monde de Jacques Cartier : l’aventure au XVIe siècle, Paris, Berger-Levrault / Montréal, Libre-Expression, 1984, p. 295-306.

Alexandre SUMPF, « Jacques Cartier », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/jacques-cartier

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