Aller au contenu principal
Trois saints dans le même Bénitier.

Trois saints dans le même Bénitier.

La loi Falloux.

La loi Falloux.

Trois saints dans le même Bénitier.

Trois saints dans le même Bénitier.

Date de création : 1850

Date représentée : 04 février 1850

Actualités 67. Lithographie, chez Aubert. Publiée dans le " Charivari " du 4 février 1850

Domaine : Estampes-Gravures

© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie

http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr

AE/II/Actualités/67

La liberté d'enseignement et la loi Falloux

Date de publication : Janvier 2005

Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS

La liberté d'enseignement et la loi Falloux

La liberté d'enseignement et la loi Falloux

La question de l’enseignement en 1848

Sous la monarchie de Juillet, les défenseurs des prérogatives de l’État en matière d’enseignement s’opposent aux tenants de la liberté d’enseignement, soucieux de garantir aux parents la liberté de choisir où et comment ils feront instruire leurs enfants.
Depuis 1833, la loi Guizot a consacré la liberté de l’enseignement primaire en l’organisant sur le principe d’une école publique ou privée pour toute commune de plus de 500 habitants. Elle est aussi largement réclamée pour le secondaire, mais plusieurs projets de loi l’ont proposée sans aboutir.
En juin 1848, la violence des insurrections qui ont ensanglanté Paris conduit les conservateurs, partisans de l’ordre, à s’entendre avec les catholiques pour trouver un compromis qui mette en place un enseignement respectueux de l’ordre et de la propriété. « Mettons nos effrois ensemble », résumait le philosophe Victor Cousin (1792-1867). Les instituteurs publics, formés par les écoles normales des départements et adeptes des idées libérales et socialistes, apparaissent comme responsables de l’agitation révolutionnaire.
Les conservateurs font du retrait du projet d’un enseignement primaire obligatoire, gratuit et laïc dû à Hippolyte Carnot (1801-1888), éphémère ministre de l’Instruction publique, une condition pour soutenir la candidature de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Élu le 10 décembre 1848, Louis Napoléon charge Alfred de Falloux (1811-1886), qui a l’appui de l’Église, du ministère de l’Instruction publique et des Cultes. Légitimiste, Falloux s’est rangé aux côtés d’Adolphe Thiers (1797-1877) parmi les partisans de l’ordre.

Thiers, hostile aux instituteurs laïcs, propose de confier l’ensemble des écoles primaires à l’Église. Mais Montalembert (1810-1870) s’oppose au nom de la liberté à ce que l’Église exerce un monopole sur l’ensemble de l’enseignement.

Trois saints dans le même bénitier

Les trois protagonistes de la loi sur la liberté d’enseignement, Montalembert éteignoir n° 1, Thiers n° 2 et Molé n° 3, barbotent dans un bénitier. Publiée dans Le Charivari du 4 février 1850, la caricature est anonyme, peut-être par suite d’une correction hâtive de la pierre lithographique : le panneau sur les instituteurs est passé de la droite du bénitier à sa gauche, où il a pu prendre la place de la signature. Daumier, qui a fourni de nombreuses caricatures pour la série Actualités, semble l’auteur de ce dessin incisif et très enlevé.
Anticlérical, le journal montre les trois députés affublés de queues de rat, de soutanes et d’éteignoirs, attributs habituels pour stigmatiser les membres du clergé comme déplaisants et obscurantistes. Cette dérision dénonce la collusion des partisans de l’ordre et des catholiques. Si Montalembert et Molé professent ouvertement le catholicisme, il est piquant de voir Thiers, libre-penseur et anticlérical notoire, à l’unisson de cette ronde « endiablée » !

La caricature ne vise pas seulement la loi sur l’enseignement, en cours de discussion depuis le 14 janvier 1850 et contestée par Victor Hugo avec véhémence le 15, mais aussi la loi Parieu (11 janvier 1850) qui vient de faire passer les instituteurs sous le contrôle des préfets pour six mois. La peur du socialisme, accusé de détruire l’ordre social et la religion avec la complicité de milliers d’instituteurs, incite le pouvoir à faire surveiller au niveau du département les instituteurs suspects d’idées subversives pour les révoquer plus rapidement. C’est à eux qu’est destiné avec un humour grinçant le « De profundis », psaume de deuil des chrétiens, car les préfets exerceront cette répression avec des pouvoirs discrétionnaires.

La loi Falloux (15 mars 1850)

Adoptée par 399 voix contre 237, la loi Falloux, qui a aussi pour auteurs Montalembert, l’abbé Dupanloup (1802-1878) et Thiers, consacre la liberté de l’enseignement dans le secondaire et le primaire, en suspendant le monopole de l’Université sur les écoles. La principale autorité, le Conseil supérieur de l’Instruction publique, ne comprend que huit universitaires sur vingt-huit membres, parmi lesquels sept représentants des cultes reconnus et trois membres de l’enseignement libre (titre 1er, chap. 1er). Dans chaque département est créée une académie, ce qui triple leur nombre (titre 1er, chap. 2, art. 1er) ; l’évêque y siège.

Les écoles peuvent être publiques ou libres (titre 1er, chap. 3, art. 17). L’instruction morale et religieuse figure au premier rang des matières enseignées (titre 2, chap. 3, art. 23) dans toutes les écoles primaires, publiques ou privées ; des écoles séparées pour chaque culte sont recommandées (titre 2, chap. 3, art. 36). Les différents ministres du culte font partie des autorités préposées à l’enseignement primaire, et « l’entrée de l’école leur est toujours ouverte » (titre 2, chap. 4, art. 44).

Les congrégations religieuses se voient faciliter l'ouverture d'établissements d'enseignement, et les municipalités ont le droit de choisir un congréganiste comme instituteur dans les écoles primaires publiques. Il suffit du baccalauréat ou d’un stage pour ouvrir une école secondaire (titre 3, chap. 1er, art. 60). Les religieuses n’ont besoin que d’une lettre d’obédience de leur supérieure pour enseigner dans le primaire (titre 2, chap. 5, art. 49).

Les établissements libres peuvent obtenir un local et une subvention publique, mais celle-ci ne peut excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement (titre 3, chap. 1er, art. 69).

Un événement capital de l'histoire de la France contemporaine

Un habile compromis entre Thiers, qui ne voulait concéder à l’Église que le primaire, et les ultramontains qui, récusant toute autre dépendance que celle du pape à Rome, refusaient le contrôle de l’Université, a fait aboutir la loi. Pie IX apporte d’ailleurs son soutien à l’action de Montalembert. Au final, le contrôle de l’État sur les écoles libres est réduit au minimum, tandis que le clergé participe à tous les « comités » d’enseignement. Tous les évêques veillent à l’application immédiate de la loi, mettant en avant la liberté de l’Église dans l’éducation, et les écoles libres se multiplient : 257 sont créées entre 1850 et 1852 ; les jésuites, jusqu’alors interdits, peuvent à nouveau enseigner.

Le problème scolaire passe au premier plan entre partisans et adversaires de l’Église. L’enseignement n’est pas gratuit, sauf pour les familles nécessiteuses. La loi Falloux entraîne par réaction une association plus étroite entre la défense de la laïcité et les idées démocratiques : les lycées se crispent sur l’anticléricalisme. Par là se creuse le fossé qui sépare les deux écoles et les « deux jeunesses ».

Tout en donnant à la liberté une extension favorable aux intérêts de l’Église, la loi Falloux a maintenu le principe des prérogatives de l’État. Le droit concédé aux parents de choisir l’établissement d’enseignement de leurs enfants n’a jamais primé sur le devoir de l’État de diriger l’éducation nationale. Que reste-t-il aujourd’hui de la loi Falloux ? Rien en ce qui concerne le primaire, depuis le vote des lois laïques de 1881-1886. Mais, hormis le privilège des évêques, c’est le régime sous lequel a continué de fonctionner jusqu’en 1960 l’enseignement secondaire privé. Le plafonnement de la subvention aux établissements privés (titre 3, chap. 1er, art. 69) est toujours en application et a suscité, en 1994, des manifestations de défense de la loi Falloux au nom de l’enseignement public.

Maurice HEBERT et André CARNEC, La Loi Falloux et la liberté d’enseignement, La Rochelle, Rupella, 1953.

Antoine PROST, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, coll. « U », 1968.

Jean-François SIRINELLI et Daniel COUTY, Dictionnaire de l’histoire de France, 2 vol., Paris, A. Colin, 1999.

Luce-Marie ALBIGÈS, « La liberté d'enseignement et la loi Falloux », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/liberte-enseignement-loi-falloux

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

L'Union des gauches de 1932

L'Union des gauches de 1932

Le retour du parti radical au pouvoir : l’Union des gauches de 1932

L’expérience du Cartel des gauches a laissé un souvenir très mitigé à ses…

L'Union des gauches de 1932
L'Union des gauches de 1932
L'Exécution du duc d'Enghien

L'Exécution du duc d'Enghien

La légende « noire » napoléonienne

De son vivant déjà, Napoléon Ier faisait l’objet d’un mythe que sa chute en 1814 puis sa mort sept…

L'Exécution du duc d'Enghien
L'Exécution du duc d'Enghien
L'Exécution du duc d'Enghien
Une caricature d'Adolphe Thiers en 1871

Une caricature d'Adolphe Thiers en 1871

Le gouvernement de la Défense nationale, mis en place après la chute du Second Empire, veut organiser au plus vite l’élection d’une Assemblée…

La Première Restauration

La Première Restauration

Les désastreuses campagnes de Russie, en 1812, et d’Allemagne, en 1813, avaient entraîné la formation d’une ample coalition des puissances…

La Première Restauration
La Première Restauration
Le chômage à Paris et à Lyon en 1831

Le chômage à Paris et à Lyon en 1831

Le paupérisme

L’arrivée de Louis-Philippe au pouvoir en juillet 1830 suscite le ressentiment des républicains, très vite doublé de la question…

Le chômage à Paris et à Lyon en 1831
Le chômage à Paris et à Lyon en 1831
Napoléon III et le général Trochu

Napoléon III et le général Trochu

Après la défaite de Sedan, la défense de Paris

En août 1870, une inéluctable succession de défaites mettent à terre le second Empire. La…

Napoléon III et le général Trochu
Napoléon III et le général Trochu
La dénonciation de la société d’ordres

La dénonciation de la société d’ordres

L’année 1789

Face à la fronde des parlements et à la crise financière, Louis XVI n’a d’autre choix que de convoquer le 8 août 1788 les états…

La Guerre

La Guerre

L’armée française prête à repartir au front ?

A la fin des années 1880, près de vingt ans après la défaite de Sedan, les idées revanchardes…

Un pamphlet contre l'aristocratie

Un pamphlet contre l'aristocratie

La hantise du complot aristocratique

En 1789, un mécontentement général contre la réaction seigneuriale s’ajoute à la vive effervescence…

Un pamphlet contre l'aristocratie
Un pamphlet contre l'aristocratie
La naissance du mythe du ténor

La naissance du mythe du ténor

La première moitié du XIXe siècle connaît un véritable engouement pour la musique en général et l’art du chant en particulier. La mode du…