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Gismonda. Sarah Bernhardt. Théâtre de La Renaissance

Gismonda. Sarah Bernhardt. Théâtre de La Renaissance

Date de création : 1895

H. : 21,5 cm

Domaine : Affiches

BnF, Dist. RMN - Grand Palais / image BnF

http://www.photo.rmn.fr

12-588269 / ENT DN-1 (MUCHA, ALPHONSE/3)-ROUL RW 3

Mucha et le théâtre

Date de publication : mai 2006

Auteur : Isabelle COURTY

Mucha entre en scène

Lorsque Alfons Mucha (1860-1939) arrive à Paris, il est âgé de vingt-sept ans. L’artiste tchèque, encore inconnu du grand public, évolue difficilement dans le monde des illustrateurs. À la veille de Noël 1894, Mucha effectue un remplacement chez l’imprimeur Lemercier, qui reçoit une commande urgente de la part de Sarah Bernhardt. L’actrice souhaite une affiche pour sa nouvelle pièce, Gismonda. À cette époque, Sarah Bernhardt est à l’apogée de sa gloire. Elle s’est notamment distinguée dans Phèdre, Hernani, mais c’est surtout dans Ruy Blas qu’elle connaît un immense triomphe. Celle que l’on surnomme la « Divine », la « voix d’or », a successivement fréquenté le Conservatoire, la Comédie-Française et l’Odéon avant de parcourir le monde et de jouir d’une renommée internationale. En 1893, elle prend la direction du Théâtre de la Renaissance où Gismonda, drame de Victorien Sardou (1831-1908), doit se jouer le 4 janvier 1895. Les 4 000 affiches commandées doivent couvrir les murs de la capitale dès le premier jour de janvier. Tous les artistes de Lemercier étant en vacances, l’imprimeur confie cette tâche au jeune Mucha. L’originalité de son travail séduit Sarah Bernhardt à un point tel qu’elle lui offre un contrat de six ans.

À cette époque, le théâtre est le loisir préféré des Parisiens, et la scène française jouit d’un grand prestige. Entre 1860 et 1913 le nombre de salles passe de trente-quatre à cent vingt et un. Leur multiplication contribue à l’essor de l’affiche publicitaire, qui devient un élément essentiel d’annonce et de promotion des spectacles. Les travaux entrepris par Haussmann ont également favorisé son développement. Des quartiers entiers se sont couverts de palissades où les affiches peuvent être placardées, tandis que les colonnes Morris, exclusivement réservées à l’affichage des programmes de théâtre, apparaissent dans le mobilier urbain à partir de 1868. À cela s’ajoutent encore les supports mobiles comme le fiacre-réclame et l'homme-sandwich.

La naissance du « style Mucha »

On comprend que la grande Sarah Bernhardt, fort soucieuse de son image et de sa personne, fut enthousiasmée par l’affiche de Mucha. Au centre, la tragédienne apparaît, divine, vêtue du costume de Gismonda. Sa pose est tirée du dernier acte du drame, lorsqu’elle participe, palme à la main, à la procession des Rameaux. La femme idéalisée et magnifiée tient ici une place de choix. L’espace peu profond donne l’impression de pousser la figure féminine vers le spectateur. Avec cette composition, Mucha élabore un nouveau style d’affiche théâtrale et surprend le public à plusieurs égards.
Son format tout d’abord. Étroit, tout en hauteur et permettant de représenter le modèle quasiment grandeur nature, il innove de manière saisissante. La douceur des tons pastel ainsi que les dorés, les bronzes et les argentés contrastent eux aussi avec les couleurs dont usent habituellement les grands affichistes de l’époque. Depuis 1880, l’art de l’affiche est bien établi en France avec les œuvres de Jules Chéret et de Toulouse-Lautrec. Ces artistes utilisaient de grands aplats de couleur, des tons criards et éclatants. La délicatesse de Mucha intrigue. Mais l’artiste innove également par un graphisme particulièrement original. Dans la version finale de l’affiche, le lourd et somptueux vêtement de Sarah Bernhardt est orné d’une multitude de motifs dorés et chamarrés, de bijoux fastueux qui témoignent, tout comme la mosaïque en arrière-plan et l’attitude hiératique de la comédienne, de l’inspiration byzantine de l’artiste. Mucha emprunte à l’art ibérique le motif du cercle que l’on retrouvera dans nombre de ses affiches. Souci du détail et raffinement extrême, le « style Mucha » naît avec cette « Gismonda ». La mention « Théâtre de la Renaissance » figure au bas de l’affiche définitive, incluse dans les plis et replis de la robe de Sarah Bernhardt. Ainsi disposé en haut et en bas, le texte informatif s’intègre à l’image sans l’alourdir. De cette composition vient toute la subtilité de l’affiche de l’artiste : Mucha murmure le message publicitaire plutôt qu’il ne le crie.

 

La révolution de l’affiche théâtrale

Mucha poursuit ici la révolution amorcée par Jules Chéret, le « père de l’affiche moderne ». En 1837, le Français Engelman fait breveter la chromolithographie, qui permet de reproduire les images en couleurs par impressions successives. Jules Chéret applique cette technique à l’affiche en 1869 et crée un archétype, la « Chérette », une jeune femme aérienne et sensuelle qui est associée à toutes ses créations. Il est le premier à faire passer l’affiche du stade de la description à celui de la séduction. Dès lors, l’affiche déborde largement sa vocation publicitaire pour devenir un art à part entière et le mode d’expression privilégié d’artistes tels que Steinlen, Toulouse-Lautrec ou Eugène Grasset.

Avec « Gismonda », Mucha trouve une composition et un style susceptibles de variations qu’il répétera dans ses travaux ultérieurs. Il découvre la force de la stylisation et l’efficacité des figures isolées. Ce n’est plus seulement une pièce de théâtre qu’il annonce, il figure une femme mystérieuse, au geste éloquent et empreint de solennité, pour capter l’attention du passant. Mucha réalisera six autres affiches pour le Théâtre de la Renaissance : La Dame aux camélias (1896) Lorenzaccio (1896), La Samaritaine (1897), Médée (1898), Hamlet (1899), La Tosca (1899). Parallèlement, il s’occupe des décors et des costumes des pièces de Sarah Bernhardt et signe un contrat exclusif avec l’imprimeur Champenois pour la production d’affiches décoratives et publicitaires. Cette rencontre avec Sarah Bernhardt lui ouvre de nombreuses portes dans le monde du théâtre, les cercles mondains, et vaut à l’artiste une renommée internationale. Ayant alors su saisir sa chance, Mucha passera ainsi du monde modeste des illustrateurs à celui des grands affichistes.

Arthur ELLRIDGE, Mucha : le triomphe du Modern Style, Paris, Terrail, 1992.

Jack RENNERT et Alain WEILL, Alphonse Mucha, toutes les affiches et panneaux, Paris, Éd. Henri Veyrier, 1984.

Renate ULMER, Alphonse Mucha, maître de l’Art nouveau, Cologne, Taschen, 1994.

Isabelle COURTY, « Mucha et le théâtre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/mucha-theatre

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