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Le Métro, la station Villiers

Le Métro, la station Villiers

Dans le métro par simple hygiène ...Ugène sors ton odorigène

Dans le métro par simple hygiène ...Ugène sors ton odorigène

Le Métro, la station Villiers

Le Métro, la station Villiers

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1916

H. : 88,5 cm

L. : 219,5 cm

Peinture à la colle rehaussée au pastel sur papier marouflé sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

10-521132 / RF 2007 16

Une nouvelle expérience urbaine

Date de publication : Février 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

Le métro, emblème de Paris

Dès l’origine, le métropolitain de Paris inspire des artistes aussi divers que le Nabi Édouard Vuillard, qui peint l’intérieur d’une station, ou le dessinateur de presse Joë Bridge, qui situe une fameuse scène publicitaire dans un wagon bondé.

Entre juillet 1900, date de l’ouverture de la première ligne reliant la porte de Vincennes à la porte Maillot, et 1921, le réseau s’est étoffé : les dix lignes couvrent de nombreux quartiers parisiens, et on s’apprête à les prolonger en proche banlieue. Le nombre de voyageurs annuels approche les 500 millions, soit presque 1,5 million par jour.

Si, pendant la première guerre mondiale, certaines gares profondes servent ponctuellement d’abri lorsque la Grosse Bertha bombarde la capitale, ce n’est pas le cas de la station Villiers, qui a ouvert entre 1903 et 1904 à la fois sur la ligne 2 et la ligne 3. On ne sait pas ce qui a poussé Vuillard, déjà âgé de 48 ans, à sortir des appartements où il s’adonne à son art intimiste du portrait sur le vif et à choisir cette station pour sortir son carnet. Certes, il a déjà dessiné l’intérieur d’un wagon en 1908, mais il s’intéresse peu aux transformations urbaines et à la société : cela fait plus d’une décennie qu’il ne réalise plus de panneaux décoratifs pour les hôtels particuliers ou n’illustre plus de programmes pour les théâtres.

Jean-Louis-Charles-Joseph Barrez, dit Joë Bridge, n’a pas fait les Beaux-Arts comme son aîné. Mais, comme lui, il refuse la voie tracée par sa famille (pour Vuillard, l’armée ; pour Bridge, les affaires) et, fort de son bagage culturel acquis au lycée Stanislas, il se lance dans le music-hall après son baccalauréat. Même la guerre n’interrompt pas cette vocation : blessé au front et détenu dans le même camp que son ami Maurice Chevalier, il monte avec lui un cabaret tout en servant à l’infirmerie. Médaillé militaire pour avoir réussi à s’évader, il fonde avec Hansi, Poulbot et d’autres la République de Montmartre (1920). Dans le Paris qui revit après la guerre, le début des Années folles est à la fois celui du plaisir de vivre, de la consommation, de la nuit, mais aussi de la spéculation qui s’attaque à la Butte où vivotent de nombreux artistes sans le sou. Désireux de perpétuer la solidarité du village, Bridge se veut aussi le promoteur d’un état d’esprit fondé sur l’humour. C’est la marque de fabrique de ses premières réalisations publicitaires, avant même la création de son agence en 1922.

Voyage au centre de Paris

La toile de grand format Le Métro, la station Villiers a probablement été réalisée par Vuillard dans son atelier à partir de croquis. Son format horizontal très allongé permet d’embrasser d’un coup les deux quais, les voies qui les séparent (particularité parisienne), la voûte, le tunnel et l’escalier qui permet la correspondance. Le peintre s’est placé en tête de quai pour observer la foule dense et indistincte qui attend le prochain train. Sur le quai d’en face, les panneaux publicitaires scandent l’espace dans la longueur et occupent toute la hauteur. La tonalité sombre, associant le crayonné noir, les panneaux foncés et les teintes brunes des manteaux, fait ressortir les éléments lumineux des ampoules au-dessus des quais et, surtout, l’ouverture vers le bas violemment éclairée. Les carreaux de faïence blanche qui habillent traditionnellement les murs et les rails métalliques reflètent ces éclats dans les tons jaunes et verts. Si les impressionnistes, qui peignaient volontiers en extérieur, jouaient avec la lumière diffractée du soleil, Vuillard s’essaie sous terre à des effets obtenus avec la lumière électrique artificielle.

L’affiche publicitaire Dans le métro par simple hygiène Ugène… sors ton odorigène a été créée par Joë Bridge en association avec d’autres supports qui mettent en scène le personnage imaginaire d’Ugène, personnification du Parisien populaire. Le slogan est réparti entre le sommet et le bas de l’affiche, à la fois pour faciliter la lecture, faire ressortir la rime riche (hygiène, Ugène, odorigène) et composer un rythme facile à mémoriser. La signature en bas à gauche sert autant à identifier l’auteur qu’à diffuser ce pseudonyme pour en faire une marque. Le dessin n’est simple qu’en apparence. Tout d’abord, Bridge a décalé la perspective pour lui donner de la profondeur et multiplier les couvre-chefs : casquette, chapeau mou, képi, calot, melon, bibi, haut-de-forme même, témoignent du caractère démocratique de ce mode de transport où se côtoient ouvriers et bourgeois, réfractaires dépeignés et agents de la loi, hommes, femmes et enfants. Le premier plan livre deux scènes au public : à gauche, la confrontation entre un adolescent au regard ombrageux et un policier engoncé dans sa sévérité ; à droite, le héros Ugène observé par trois improbables voyageurs, un rupin stupéfait, une nounou tout sourire et un petit enfant avide. Leurs trois attitudes suggèrent les réactions que pourraient avoir les Parisiens voyant cet inhalateur de poche pour la première fois.

Le métro et la publicité

Depuis 1900, le métro parisien se distingue par une concentration de publicités unique à l’échelle de la ville. Les murs des couloirs, les quais et même les rames accueillent de la réclame : l’espace est saturé d’annonces alors qu’à la surface, malgré le mobilier urbain et les enseignes des magasins, les façades laissent une respiration au passant.

Ce n’est donc pas un hasard si, de façon assez fine, Joë Bridge choisit cet environnement pour son affiche. D’une part, il situe son message à un niveau hygiéniste. Le métro est un lieu de promiscuité, mal aéré car souterrain, comme le montre bien le paysage totalement clos de Vuillard où l’unique ouverture est un puits de lumière artificielle qui entraîne le voyageur plus profond encore. Inhaler des essences ou des parfums peut signifier dresser une barrière olfactive agréable ou avoir une vertu thérapeutique – les inhalateurs ayant été conçus au départ pour les problèmes respiratoires aigus ou chroniques. Mais le personnage d’Ugène, avec son chapeau trop petit et rapiécé, son col relevé, sa toison hirsute et sa moustache non taillée, constitue un véritable pied-de-nez à la norme hygiéniste.

En outre, on aurait attendu une femme d’un certain niveau social : le double décalage fait rire et participe du succès de la campagne. Celle-ci prend aussi la forme d’une vignette publicitaire en couleur (Ugène est roux) et d’une chanson populaire composée par Lucien de Gerlor, apparemment pour une revue donnée au cabaret La Boîte à Fursy. Les liens de Bridge avec le music-hall ont donc permis de multiplier les supports, et il se peut très bien que des spots ou la chanson soit passée à la radio à l’époque.

À cinq années de distance, Vuillard et Bridge témoignent chacun à leur manière que le monde souterrain du métropolitain est l’un des visages de Paris. Ses dizaines de stations et ses millions de voyageurs forment à la fois d’éphémères groupes sociaux unis par un décor assez uniforme, et un public captif pour l’autre grande invention du XIXe siècle : la publicité.

COGEVAL Guy (dir.), Édouard Vuillard, cat. exp. (Washington, 2003 ; Montréal, 2003 ; Paris, 2003-2004 ; Londres, 2004), Paris, Réunion des musées nationaux / Montréal, musée des Beaux-Arts, 2003.

GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du métropolitain, Paris, La Découverte, coll. « Poche : essais », 1999 (1re éd. 1986).

MARTIN Marc, Histoire de la publicité en France, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2012.

République de Montmartre : Association fondée en 1921 à l’initiative de Joë Bridge. Ses fondateurs sont Poulbot, Willette, Forain, Neumont et Joë Bridge.

Alexandre SUMPF, « Une nouvelle expérience urbaine », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/nouvelle-experience-urbaine

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