Aller au contenu principal
Émilienne d'Alençon

Émilienne d'Alençon

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : Vers 1900

Date représentée :

H. : 13,5 cm

L. : 9,5 cm

Photographe : Atelier Reutlinger.

Épreuve sur papier albuminé contrecollée sur carton.

Domaine : Photographies

© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

PHO2001-11-59 - PHO 2001 11 59

Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon

Date de publication : Août 2011

Auteur : Gabriella ASARO

La photographie au service d’une cocotte de haut vol

Contrairement aux hétaïres grecques, les courtisanes de la Belle Époque n’ont pas besoin d’être cultivées et raffinées pour accéder au rang de cocottes de haut vol : tel est le cas d’Émilienne d’Alençon, qui s’affirme dans le demi-monde parisien grâce à sa beauté et à la notoriété que lui apportent ses amants illustres et le recours à la photographie, qui diffuse son effigie à l’échelle internationale.

Née Émilie André, à Paris, le 18 juillet 1869, fille d’une concierge de la rue des Martyrs, la future Émilienne d’Alençon reçoit son pseudonyme de la prostituée Laure de Chiffreville, qui lui prédit une brillante carrière. Lancée par l’« intrépide vide-bouteilles » Charles Desteuque, chroniqueur du Gil Blas, Émilienne se produit comme dresseuse de lapins au Cirque d’Été et fréquente les lieux favoris du demi-monde parisien : le bois de Boulogne, Chez Maxim’s, les théâtres. Entre 1889 et 1892, la jeune femme devient une célébrité grâce à sa liaison avec le jeune duc Jacques d’Uzès qui veille à son instruction dans le vain espoir de l’épouser ; envoyé au Congo par sa famille qui s’oppose fermement à cette mésalliance, le jeune duc meurt en 1893. Émilienne d’Alençon consolide sa renommée de grande cocotte en séduisant le roi des Belges Léopold II, le prince de Galles et futur roi Édouard VII, et le Kaiser Guillaume II, et en rivalisant avec la Belle Otero, Cléo de Mérode et Liane de Pougy. Avec Liane, Émilienne noue une liaison amoureuse que le Gil Blas relate de manière fort caricaturale : il annonce le mariage des deux cocottes et l’arrivée imminente d’un enfant.

Si les chroniqueurs mondains influent considérablement sur la notoriété des « grandes horizontales », ce sont les photographes qui leur assurent un succès international : la diffusion des portraits photographiques, qui permet à des véritables artistes du spectacle, comme Sarah Bernhardt ou Réjane, de consolider leur renommée, est d’autant plus indispensable pour les demi-mondaines qui, à défaut d’un véritable talent, misent tout sur leur beauté. Outre leurs richissimes amants, les séductrices de la Belle Époque ont en fait besoin d’une foule d’admirateurs anonymes qui, en collectionnant les reproductions de leurs portraits photographiques, contribuent à accroître leur renommée de « femmes fatales ».

Le spectacle de la beauté

Émilienne d’Alençon confie son image aux soins des meilleurs ateliers photographiques de Paris, où elle pose aussi bien en tenue élégante qu’en costume de scène.
Réalisée par l’atelier Reutlinger vers 1900, cette photographie montre la jeune femme dans le costume qu’elle porte sur la scène des Folies-Bergère dans La Belle et la Bête : Émilienne, racontent les chroniques, « fait semblant de jouer de la mandoline pour accompagner des couplets égrillards, qu’elle détaille d’une voix innocente ». Cette « innocence » est aussi la protagoniste de ce cliché, où « la Belle » penche la tête d’un air rêveur, les mains posées sur sa mandoline. Si le costume d’Émilienne est assez simple, les bijoux qu’elle porte révèlent sa coquetterie ; quant au charme du modèle, il est parfaitement décrit par un chroniqueur : « Son nez insolemment camard, et pourtant adorable dans son effronterie, est chevauché par les plus beaux yeux du monde, des yeux clairs, malins, qui peuvent être rangés dans la catégorie des agents provocateurs […] Sa bouche, tordue de moues d’enfant gâté, ou retroussée par des sourires de sainte-nitouche, appelle irrésistiblement le baiser, comme la rose invite l’abeille et comme le Nord attire l’aimant. »

Reproduite à loisir, l’effigie d’Émilienne correspond à l’idéal ambigu de la féminité forgé par la Belle Époque : une femme sensuelle mais sans en avoir l’air, naïve et malicieuse en même temps.

Un « gavroche féminin », entre frivolité et mélancolie

Surnommée « gavroche féminin » en raison de son origine parisienne populaire et de la spontanéité de ses répliques, Émilienne d’Alençon se passionne pour la littérature et écrit elle-même des poèmes, recueillis sous le très significatif titre de Sous le masque (1918), qui révèlent une âme sensible et mélancolique ; néanmoins, la belle demi-mondaine n’abjure pas sa coquetterie et, en 1919, publie un recueil de recettes de beauté. Mais la Belle Époque est finie, et le triste déclin d’Émilienne d’Alençon a déjà commencé : l’opium fait des ravages sur son corps et sur son esprit ; elle dépense une fortune pour ses maîtresses, puis semble avoir trouvé le bonheur en épousant un jockey anglais beaucoup plus jeune qu’elle, Percy Woodland, dont elle divorce pour un autre jockey britannique, Alec Carter, qui meurt pendant la Grande Guerre. Seule, malade et endettée, Émilienne finit ses jours à Nice ; Renée Vivien avait écrit pour elle ces vers prémonitoires : « Tu te flétriras un jour, ah, mon lys ! / Tes pas oublieront le rythme de l’onde, / ta chair sans désirs, tes membres perclus / ne frémiront plus dans l’ardeur profonde, / l’amour désenchanté ne te connaîtra plus. »

Cependant, la gloire passée de la Belle Époque et de ses protagonistes est éternisée par la photographie qui, après avoir été un puissant instrument publicitaire, s’avère être un irremplaçable outil de mémoire.

Émilienne d’ALENÇON, Sous le masque, Paris, Sansot, 1918.

Émilienne d’ALENÇON, Secrets de beauté pour être belle : recueil de conseils utiles et pratiques pour les soins de la femme, Paris, 1919.

Sylvie JOUANNY, L’Actrice et ses doubles : figures et représentation de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Genève, Droz, 2002.

Claude DUFRESNE, Trois grâces de la Belle Époque, Paris, Bartillot, 2003.

Gabriella ASARO, « Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/splendeurs-miseres-courtisane-emilienne-alencon

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Les Embarras de la circulation

Les Embarras de la circulation

Les difficultés et les nuisances de la circulation dans les grandes villes ne constituent pas un problème spécifique à notre époque. Pendant l’…

Les Embarras de la circulation
Les Embarras de la circulation
Les Embarras de la circulation
Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons

Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons

A la Belle Epoque, « âge d’or » de la presse française, les quotidiens, régionaux ou nationaux, se comptent par centaines. Les « quatre grands »,…

Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons
Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons
Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons
Quatre affiches de lancement de romans-feuilletons
Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon

Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon

La photographie au service d’une cocotte de haut vol

Contrairement aux hétaïres grecques, les courtisanes de la Belle Époque n’ont pas besoin d’…

"La Force Noire"

"La Force Noire"

La colonisation française en Afrique à son apogée

La France achève, dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, la conquête de…

La « divina »  Eleonora Duse et la naissance du théâtre du XX<sup>e</sup> siècle

La « divina » Eleonora Duse et la naissance du théâtre du XXe siècle

La photographie, forme artistique et outil commercial

Dès sa diffusion, à la fin du XIXe siècle, la photographie se révèle une…

La « divina »  Eleonora Duse et la naissance du théâtre du XX<sup>e</sup> siècle
La « divina »  Eleonora Duse et la naissance du théâtre du XX<sup>e</sup> siècle
Santos-Dumont, le Brésilien volant

Santos-Dumont, le Brésilien volant

La conquête des airs présente des dates charnières qui sont autant d’étapes décisives. L’année 1906 en est une puisqu’elle voit le premier vol…

L'évolution de la mode féminine 1880-1920

L'évolution de la mode féminine 1880-1920

Au seuil du XXe siècle, la silhouette de la femme change radicalement. L’effet de cette transformation apparaît non seulement dans les…

L'évolution de la mode féminine 1880-1920
L'évolution de la mode féminine 1880-1920
L'évolution de la mode féminine 1880-1920
L'évolution de la mode féminine 1880-1920
Mounet-Sully et l’Antiquité grecque au théâtre à la Belle Époque

Mounet-Sully et l’Antiquité grecque au théâtre à la Belle Époque

De la notoriété internationale de Jean-Sully Mounet (1841-1916), dit Mounet-Sully, l’un des acteurs les plus célèbres de la Belle Époque, témoigne…

Mounet-Sully et l’Antiquité grecque au théâtre à la Belle Époque
Mounet-Sully et l’Antiquité grecque au théâtre à la Belle Époque
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet

Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet

La photographie et l'engouement pour les cultures orientales

Le goût pour l'exotisme, notamment pour l'Orient, est l'héritage de l'époque…

Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Exotisme et érotisme à la Belle Époque : Mata-Hari au Musée Guimet
Un théâtre du Boulevard à la Belle Epoque

Un théâtre du Boulevard à la Belle Epoque

Le théâtre au cœur de la vie parisienne

Depuis la monarchie de Juillet, les « grands boulevards » sont le centre de la vie parisienne. Cet…