Aller au contenu principal
Petites dentellières

Petites dentellières

Manufacture de tabac - Hazerville

Manufacture de tabac - Hazerville

Petites dentellières

Petites dentellières

Date de création : Vers 1907

Date représentée :

Huile sur toile.

Exposé au Salon des Artistes Français de 1907

Domaine : Peintures

© Ministère de la Culture -Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / François Vizzavona / reproduction RMN

Lien vers l'image

VZD4104 - 97-008832

Le travail en atelier et en manufacture

Date de publication : Juillet 2007

Auteur : Myriam TSIKOUNAS

En France, jusqu’aux années 1820, le travail des enfants, qui aident les adultes dans leurs tâches agricoles ou artisanales, ne fait pas débat. Mais la révolution industrielle entraîne des modifications profondes. Des petits garçons et des fillettes âgés de six à huit ans sont envoyés, loin de leur domicile, gagner un salaire dérisoire dans des ateliers dangereux, à des postes nécessitant plus d'adresse que de force.
Cette misère sociale d’un type nouveau attire l'attention des élites et aboutit à des réglementations successives du travail juvénile dans les manufactures. Comme ces lois peinent à être appliquées, des artistes de renom se relaient, jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale, pour dénoncer les méfaits d’un travail précoce. Si Victor Hugo (Melancholia) ou Daudet (Jack), le font par des mots, d’autres témoignent par des images, à l’instar du photographe américain Lewis Wikes Hine dont la devise était : « Laissez les enfants être des enfants ».

L’atelier de dentelles peint sur toile et la manufacture de tabac fixée sur pellicule argentique présentent d’évidentes différences
- Les dentellières travaillent dans un espace très propre, sans aucune poussière sur le plancher. La pièce possède un semblant de décor, exprimé notamment par la présence d’un géranium sur le rebord de la fenêtre. Les jeunes filles ne sont pas livrées à elles-mêmes mais sont placées sous la responsabilité d’une adulte, même si la formatrice (ou béate) semble se désintéresser de ses apprenties puisque la plus jeune, installée au fond à gauche du cadre, doit regarder sur sa voisine pour comprendre le point ou le motif. ;
- Le baraquement où l’on prépare le tabac est poussiéreux et mal aéré. On y devine les risques sanitaires et les effets toxiques liés à la manipulation de plants contenant de la nicotine.

Par delà les contrastes, les deux lieux offrent pourtant des analogies : ils sont mal éclairés et les fillettes, âgées au plus d’une dizaine d’années, s’abîment les yeux sur les aiguilles comme sur les pédoncules des feuilles de tabac. Les recherches sur la ventilation et la lumière, pourtant engagés en France depuis 1857 par le bureau de l’industrie du ministère du Commerce, n’ont pas porté leurs fruits.
Dans un local comme dans l’autre, le corps des jeunes ouvrières est malmené. Les écoteuses de tabac travaillent debout, immobiles devant des tables trop hautes pour elles, nécessitant de soulever continuellement les épaules et les coudes ; les dentellières sont assises sur des sièges sans dossiers, pour la plupart des tabourets trop bas pour pouvoir déplier les jambes.

Ces fillettes ne sont certes pas confortablement installées. Toutefois, contrairement à beaucoup de jeunes ouvriers, elles ne travaillent pas dans des ateliers dangereux, exigus et remplis de machines géantes. Dans d’autres secteurs, comme la sidérurgie ou le textile, les enfants, payés aux pièces, pour ne pas perdre de temps, procèdent au nettoyage des métiers en mouvement. Ils huilent, graissent, ajustent, resserrent les écrous sans arrêter le moteur et, s'ils font un faux mouvement, se prennent le bras dans les rouages des machines.
Tout au long du XIXe siècle, le travail précoce des enfants, malmenés dans des locaux insalubres et victimes de fréquents accidents entraîne non seulement des maladies professionnelles et des invalidités mais des malformations. Le conseil de révision, dans les régions les plus fortement industrialisées de France sera, certaines années, obligé d’écarter jusqu'à neuf conscrits sur dix et de ramener la taille réglementaire des appelés à 1mètre 60 au lieu d' 1mètre 65.
Cette condition faite aux jeunes ouvriers émeut, dès la monarchie de Juillet, les médecins et les enquêteurs sociaux qui reprochent aux industriels de sacrifier l’avenir au présent, de donner au pays une génération considérablement dégradée au moral comme au physique. Ces dénonciations seront déterminantes dans le vote de la loi du 22 mars 1841, qui interdit d’employer des enfants de moins de huit ans dans les manufactures, usines, ateliers et fabriques de plus de vingt salariés, limite le nombre d'heures de travail journalier et impose une assiduité scolaire jusqu’à douze ans.
Hélas, cette loi, qui ne concerne pourtant qu’un petit nombre d’établissements car la France reste très artisanale, s’avère inefficace : les patrons limitent volontairement à 18 ou 19 leur personnel et donnant de l'ouvrage à domicile aux autres ouvriers, les inspecteurs du travail sont trop peu nombreux, beaucoup de recruteurs falsifient, avec la complicité des parents les plus démunis, les dates de naissance sur les livrets ouvriers, l’école et la formation professionnelle sont peu satisfaisantes malgré la promulgation, en mars 1851, d’une loi sur l’apprentissage.
Les lois de mai 1874 et de mars 1882 arrivent par contre à point nommé. Comme le pays se trouve dans une phase de récession économique, la limitation de l’embauche des enfants, tenus de fréquenter l’école jusqu’à treize ans révolus, arrange les manufacturiers qui procèdent ainsi à des licenciements déguisés. Mais, dans certains secteurs comme la verrerie et la dentellerie, où l’apprentissage se fait sur le tas, les dispositions législatives sur l’emploi des enfants seront rarement respectées. Elles ne le seront évidemment plus nulle part durant la Grande Guerre, quand les femmes et les enfants devront remplacer les hommes mobilisés.

Emmanuel LE ROY LADURIE Les réformés du contingent  in "Le Territoire de l'historien" Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1973 (rééd.Tel, 1975).

Pierre PIERRARD Enfants et jeunes ouvriers en France (XIXe-XXe siècles) Paris éd. Ouvrières, 1974 (rééd.1987).

Jean SANDRIN Enfants trouvés, enfants ouvriers (XVIIe-XIXe siècles) Paris, Aubier, coll. « Floréal », 1982, 255 p.

Louis-René VILLERME Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie Paris, Renouard, 1840, 2 t. de 281 p.et 228 p (rééd.U.G.E.10/18, Paris, 1971, 316 p. ; rééd.par Jean-Pierre Chaline et Francis Demier, Paris, EDI, 1990).

Louis-René VILLERME  Sur la durée trop longue du travail des enfants dans beaucoup de manufactures Annales d'hygiène publique et de médecine légale, t.18, 1e série, 1837, pp.164-176.

Myriam TSIKOUNAS, « Le travail en atelier et en manufacture », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/travail-atelier-manufacture

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle

La construction des écoles dans la Somme au XIXe siècle

Le XIXe siècle, siècle de l’école

La situation globale de l’enseignement primaire en France apparaît médiocre à la chute de l’Empire (…

La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La Naissance des éditions pour enfants : l'exemple de Jules Hetzel

La Naissance des éditions pour enfants : l'exemple de Jules Hetzel

La situation du livre pour enfants au début du XIXe

On assiste, au XIXe siècle, au développement de l’enseignement primaire…

Le travail des enfants dans le Nord en 1901

Le travail des enfants dans le Nord en 1901

Un cadre législatif balbutiant

Le travail des enfants n’est pas une nouveauté du XIXe siècle, mais la révolution industrielle, avec le…

Le travail des enfants dans le Nord en 1901
Le travail des enfants dans le Nord en 1901
Progrès de la médecine infantile

Progrès de la médecine infantile

A l’aube du XXe siècle, la médecine des enfants semble entrer dans une ère nouvelle, qui va enfin permettre le recul de la mortalité infantile,…

Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)

Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)

Les « nouveaux citoyens » de Guyane replongés dans l’esclavage.

L’abolition de l’esclavage, votée par la Convention en 1794 n’a pas touché toutes…

Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)
Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)
Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)
Le rétablissement de l'esclavage en Guyane (1802)
Le fléau de la tuberculose

Le fléau de la tuberculose

Un fléau social

La Grande Guerre s’accompagne d’une recrudescence de la mortalité tuberculeuse. De 1906 à 1918, la France passe du cinquième au…

Le fléau de la tuberculose
Le fléau de la tuberculose
Le fléau de la tuberculose
L'usage du biberon

L'usage du biberon

Lait mortel

La notion d’hygiène apparaît au XVIIIe siècle, avec un intérêt particulier pour les enfants et les nouveau-nés. Des…

L'usage du biberon
L'usage du biberon
Le Galant Colporteur

Le Galant Colporteur

En 1734, François Boucher reçoit la commande d’une série de tableaux pour les tapisseries de la manufacture de Beauvais. Le Petit colporteur,…

L'enfance maltraitée

L'enfance maltraitée

Comme Hector Malot, Eugène Sue ou Alphonse Daudet, Victor Hugo s’est beaucoup préoccupé, dans ses romans qui se fondent souvent sur des faits-…

L'emmaillotement

L'emmaillotement

L’action de l’assistance publique

La France de la fin du XIXe siècle est marquée par une grande fragilité de la petite enfance, une…

L'emmaillotement
L'emmaillotement
L'emmaillotement