Aller au contenu principal
À propos de la femme coupée en morceaux

À propos de la femme coupée en morceaux

Date de création : 29 janvier 1905

Date représentée : Janvier 1905

Le Petit journal. Supplément du dimanche : dernière page

Domaine : Presse

Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica

Lien vers l'image

  • À propos de la femme coupée en morceaux

La Zone et la police à Paris en 1905

Date de publication : Février 2024

Auteur : Lucie NICCOLI

La zone des « fortifs » à Paris en 1905

La période couvrant la fin du XIXe siècle et le début du XXe (jusqu’en 1914), qualifiée rétrospectivement de Belle Époque en raison des progrès de l’industrie et d’une forte croissance économique, est aussi marquée par les inégalités sociales, les attentats anarchistes et une importante criminalité. À Paris, les grands travaux menés par le préfet Haussmann sous le Second Empire ont poussé les populations les plus pauvres hors de la ville, dans ce qu’on appelle alors la Zone ou les fortifs (1) : une bande de terre non constructible tout autour de Paris, de 34 km de circonférence sur 250 mètres de large à l’extérieur de l’enceinte de Thiers.

Après la guerre de 1870 et la Commune, cette zone est abandonnée par l’armée et progressivement occupée par des ouvriers et divers petits métiers regroupés sous le nom de « chiffonniers » – récupérateurs de déchets, marchands ambulants, rémouleurs, vanniers. Une immense zone d’habitat anarchique et précaire s’y développe, abritant jusqu’à 30 000 habitants en 1914.

Les homicides, alors quotidiens à Paris, sont souvent imputés aux vagabonds ou aux « apaches (2) » qui y trouvent refuge. C’est donc là que se concentrent les investigations de la police et de la gendarmerie. La presse parisienne s’empare dès les années 1870 de ces faits divers sanglants, en particulier Le Petit Journal, quotidien républicain et conservateur à un sou (cinq centimes), au lectorat ouvrier. Grâce à l’invention, par son directeur, Hippolyte Marinoni, d’une presse rotative à impression polychrome, paraît à partir de 1890 un Supplément hebdomadaire illustré représentant en couleurs, en Une et en dernière page, aussi bien les évènements nationaux que divers accidents et crimes. La gravure imprimée en huitième page du numéro du dimanche 29 janvier 1905 illustre l’une des nombreuses affaires criminelles, parmi lesquelles plusieurs cas de corps démembrés, qui passionna l’opinion et amena la police à fouiller les baraquements des fortifs.

Misère, vice et crime dans les baraquements de la Zone

C’est dans l’une de ces baraques en bois et glaise que la police fait irruption au petit matin, surprenant ses nombreux occupants dans leur sommeil ou leurs trafics. L’image est scindée en deux parties presque égales par le tuyau tordu d’un poêle rafistolé : dans celle de gauche sont rassemblés les zoniers, au fond de la pièce ; dans celle de droite, les forces de l’ordre, près de la porte ouverte. Aux premiers accroupis, assis ou penchés, maigres ou vêtus de guenilles, s’opposent les seconds, grands, droits, chaudement vêtus et bien nourris. L’intérieur de la cabane est misérable et surpeuplé, abritant dans une seule pièce plusieurs hommes et femmes ainsi que trois enfants – deux nourrissons terrifiés, serrés dans l’unique lit avec leur mère, au visage défait, et un enfant décharné, l’air désorienté. Au premier plan, à gauche, une femme âgée couchée à même le sol dissimule un coffret sous sa couverture rapiécée et semble conspirer avec l’homme accroupi qui tente d’échapper à la vue des agents. Derrière lui, une jeune femme rousse debout, les poings sur les hanches, la poitrine opulente et la taille fine – modèle de la prostituée – les toise crânement. De l’autre côté du lit, un homme hirsute retenant par son collier un dogue menaçant, est appréhendé par un agent, tandis que son collègue, devant la porte, saisit au collet un homme au visage simiesque. Au premier plan à droite, un homme de dos, assis contre une hotte de chiffonnier, tend un papier – sans doute des informations – à un policier en civil.

D’après le petit article expliquant la gravure, les agents menant l’enquête sur les fragments de corps découverts à Saint-Ouen sont Octave Hamard, directeur de la Sûreté générale de 1902 à 1911 – sans doute l’homme vêtu d’un ample manteau et coiffé d’un haut-de-forme –, « accompagné de ses meilleurs limiers ». Ces derniers, tous moustachus, conformément au règlement, sont en uniforme de policiers, le képi orné de l’insigne de la ville de Paris, à l’exception de celui qui ne porte pas de pèlerine, arborant épaulettes et aiguillettes sur sa tunique de gendarme.

Multiplication des crimes et modernisation de la police

Ce tableau où se mêlent la misère, le vice et le crime est destiné à inspirer aux lecteurs du Petit Journal à la fois compassion pour les « braves gens » que sont les chiffonniers et réprobation vis-à-vis des « trimardeurs, coupeurs de bourse, rôdeurs et pierreuses » qui troublent leur quiétude, sans oublier une crainte respectueuse envers les forces de l’ordre. Sur le fond bleu-gris et brun-crème des uniformes et des planches, plusieurs touches de rouge – sur un drap au-dessus du lit, la jupe de la prostituée, le bras de la femme âgée ou le foulard de l’indicateur – évoquent le sang versé par le crime, le vice ou la maladie, voire la tentation de l’anarchisme, établissant une continuité entre ces différents maux.

Au tournant du siècle, en effet, l’augmentation de la criminalité que peinent à enrayer les forces de l’ordre ainsi que les problèmes de mœurs (prostitution et homosexualité) et de santé publique (tuberculose et syphilis), relayées par une presse parisienne en plein essor, deviennent de véritables questions de société. Face à ces nouveaux enjeux, Louis Lépine, préfet de police à deux reprises de 1893 à 1913, entreprend de moderniser et centraliser les services de police : il crée en 1894 une direction générale des recherches regroupant le service de la sûreté, la brigade des garnis (ou brigade « mondaine ») et la brigade des recherches. Il s’efforce aussi d’en civiliser les pratiques, encore brutales, et dote les « gardiens de la paix » d’un nouvel uniforme alliant élégance et martialité, à l’instar des gendarmes de la garde républicaine de Paris avec lesquels ils s’associent parfois. En dépit de ces innovations et des débuts de la police scientifique, le nombre de crimes ne cesse d’augmenter, encore souvent non résolus. La gravure du Supplément illustré, qui met en scène un face à face imaginaire entre forces de l’ordre et délinquance sous toutes ses formes, s’emploie donc à rassurer ses lecteurs quant à la détermination dont fait preuve la force publique pour les protéger.

Jean-Marc BERLIÈRE, La police à Paris en 1900, Nouveau monde éditions, Paris, 2023.

Jérôme BEAUCHEZ, James CANNON, « Cette mauvaise réputation… Quand la « zone » fait des histoires (1895-1975) », dans Ethnologie française, n°48, 2018/2, p. 329-344.

James CANNON, « La zone entre classes laborieuses et classes dangereuses : les marges parisiennes de la Belle Époque à la fin des années 1970 », dans Espaces et sociétés n°171, 2017/4, p. 37-54.

Clovis BIENVENU, « De la police criminelle à la police judiciaire », dans Le 36, quai des Orfèvres, PUF, Paris, 2012, p. 5-38

1- Les Fortifications (fortifs) : enceinte de Paris construite sous Louis-Philippe de 1841 à 1844.

2 - Apaches : bandes de voleurs souvent adolescents qui sévissent à Paris à la Belle époque

Lucie NICCOLI, « La Zone et la police à Paris en 1905 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 27/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/zone-police-paris-1905

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La police de l'Empereur

La police de l'Empereur

Ancien élève des oratoriens, professeur au collège de Juilly puis à Arras où il rencontra Carnot et Robespierre, Fouché fut élu député à la…

Un comité révolutionnaire sous la Terreur

Un comité révolutionnaire sous la Terreur

Le fonctionnement des comités révolutionnaires

Dans le cadre des mesures d’exception qu'elle prend au printemps 1793, la Convention décrète le 21…

La "Rafle du billet vert" 2/2

La "Rafle du billet vert" 2/2

Un ballon d’essai

Mi-mai 1941, l’axe entre Paris et le Loiret s’anime à nouveau, comme 11 mois plus tôt. Cependant, au lieu de l’exode dans la…

La
La
Le 6 février 1934

Le 6 février 1934

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le régime parlementaire de la IIIe République est l’objet de critiques croissantes, visant à la fois…

Le 6 février 1934
Le 6 février 1934
Le 6 février 1934
Brevet de volontaire de la garde nationale

Brevet de volontaire de la garde nationale

La garde nationale en juillet 1790

La garde nationale n’est pas initialement destinée à protéger le royaume contre une agression extérieure, elle…

La Voisin et l’affaire des poisons

La Voisin et l’affaire des poisons

1676-1682, l’affaire des poisons et l’exécution de La Voisin 

Entre 1676 et 1682 éclate à Paris l’affaire des poisons : la mise au jour par la…

La Zone et la police à Paris en 1905

La Zone et la police à Paris en 1905

La zone des « fortifs » à Paris en 1905

La période couvrant la fin du XIXe siècle et le début du XXe (jusqu’en 1914),…

Répression de la misère

Répression de la misère

En France, le vagabondage, défini comme un délit dans le code napoléonien de 1804, est réprimé en milieu rural aussi bien qu’en ville.

Jean-Baptiste Troppmann

Jean-Baptiste Troppmann

Une affaire alsacienne à la veille de la guerre franco-prussienne

Le 20 septembre 1869 au matin, dans la plaine de Pantin, un cultivateur déterre…

Jean-Baptiste Troppmann
Jean-Baptiste Troppmann
La Charge

La Charge

L’agitation politique et sociale, au tournant du siècle, n’est pas seulement due au contexte de l’affaire Dreyfus et de la crise des Inventaires.…