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Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), entre les deux guerres

Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), entre les deux guerres

Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939

Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939

Travailleurs immigrés devant le ministère du Travail. Paris, 1938

Travailleurs immigrés devant le ministère du Travail. Paris, 1938

Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), entre les deux guerres

Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), entre les deux guerres

Auteur : ANONYME

Lieu de conservation : Agence Roger-Viollet (Paris)
site web

Date de création : entre 1929 et 1939

Date représentée : entre 1929 et 1939

Photographie

Domaine : Photographies

© Albert Harlingue / Roger-Viollet

http://www.roger-viollet.fr/accueil.aspx

1065-14 / HRL-610575

Les immigrés au travail

Date de publication : Avril 2016

Auteur : Alexandre SUMPF

Une immigration devenue nécessaire

Chacune à sa manière, les trois photographies Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt; Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939 ; Travailleurs immigrés devant le Ministère du Travail. Paris, 1938, témoignent de la nature de l’immigration de travail en France juste avant la seconde guerre mondiale, soulevant aussi certaines problématiques qui y sont liées.

Pendant et après la guerre de 1914-1918, l’immigration de travail devient nécessaire économiquement : pour soutenir l’effort de guerre à l’arrière puis reconstruire un pays touché démographiquement dans ses forces vives il est en effet impératif de faire face au manque de main d’œuvre. Auparavant réservé au seul secteur privé, le recrutement devenu massif est désormais également encouragé, encadré et régulé par l’État. Une nouvelle administration dédiée à la question est mise en place qui collabore étroitement avec les entreprises, notamment à travers l’organisme patronal de la Société Générale d’Immigration créée le 7 mai 1924, le Comité central des Houillères de France et l’Office central de la main-d’œuvre agricole.

Dans un contexte de forte croissance économique, les années 1920 connaissent une intensification et une diversification de l’immigration, tant en ce qui concerne les origines des arrivants que les secteurs où ils sont embauchés. Au faîte de sa puissance coloniale, l’État dispose notamment de plus en plus de « réserves » de main d’œuvre venues d’Afrique ou d’Asie, ce qui est un fait nouveau par rapport à l’immigration plus européenne du XIXe siècle. Essentiellement composée de travailleurs peu qualifiés employés comme ouvriers dans les mines, dans les usines, sur les chantiers de travaux publics ou aux champs, la population immigrée provient des colonies (Indochine, Maroc et Algérie notamment), d’Europe (italiens, polonais, belges, espagnols et suisses) mais aussi de Chine ou encore d’Arménie.

En 1931, la présence étrangère en France représente ainsi près de trois millions de personnes, soit 7% de la population totale. Malgré l’afflux de nouveaux migrants politiques, leur nombre tend à diminuer au cours des années 30 années marquées par la crise économique, un grand raidissement xénophobe et un net durcissement de la politique d’immigration qui se traduit par la restriction du regroupement familial, des licenciements et des renvois au pays.

Mains d’œuvre

Les trois clichés ici étudiés Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt ; Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939 et Travailleurs immigrés devant le Ministère du Travail. Paris, 1938 sont anonymes et semblent avoir eu une fonction essentiellement documentaire. On ne peut en tout cas pas affirmer qu’ils aient été médiatisés et aient pu jouer en tant que tel un rôle sur les représentations contemporaines de la main d’œuvre étrangère.

La première photographie a été prise entre 1929 (date de l’ouverture de l’usine sur l’île Séguin) et 1939. Elle représente un groupe d’immigrés chinois rassemblés dans l’une des cours de l’usine Renault située à Boulogne-Billancourt. En cette journée ensoleillée, ils sont près d’une vingtaine devant un atelier. Vêtus à l’occidentale (costumes et casquettes « d’ouvriers » pour les uns, chapeaux pour les autres), ces hommes semblent discuter tranquillement. Il est difficile de préciser ce qui justifie un tel attroupement : embauche, pause ou fin de la journée de travail.

La seconde image immortalise elle aussi une scène au travail. On y aperçoit des maghrébins jeunes et moins jeunes se reposer, s’abreuver se nourrir lors de labeurs agricoles que l’on devine éprouvants. Épuisés mais fiers prendre la pause, ils fixent l’objectif sans sourire tant la lassitude l’emporte. Ils portent des habits occidentaux adaptés à la tâche même si le plus âgé visible au premier plan se distingue par une tenue plus exotique, un chèche posé sur le crâne pour se protéger du soleil d’août.

Travailleurs immigrés devant le Ministère du Travail. Paris, 1938 figure quant à elle une scène qui se déroule aussi « au travail » si l’on peut dire puisque devant le Ministère du même nom situé rue de Grenelle dans le VIIème arrondissement de Paris. Devant l’entrée du bâtiment administratif, un ensemble d’ouvriers, des hommes habillés assez pauvrement et portant souvent des casquettes typiques se tient dans la rue, tandis que quelques autres entrent et sortent de la cour intérieure. Il y a comme un contraste entre la « majesté » du bâtiment (hauts murs, hautes portes, beaux quartiers) et la simplicité de ces travailleurs.

Au travail

Les trois images renseignent sur une certaine manière d’appréhender ces populations, ainsi que sur la diversité, les réalités et même le quotidien de cette immigration de travail.

Une diversité d’origine et de secteurs d’activité tout d’abord, dont témoignent Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt et Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939. Moins connue que d’autres, l’immigration chinoise en France remonte au traité du 14 mai 1916 signé entre les gouvernements des deux pays qui entraîne le recrutement de 35 000 chinois (les « coolies ») pour soutenir l’effort de guerre. On estime que plus de 3000 d’entre eux (le chiffre est peut-être sous-évalué) restent en France après le conflit, formant ainsi le premier contingent de cette communauté en France. Une partie de ces hommes est recrutée dans l’industrie automobile (Renault à Boulogne-Billancourt, Panhard & Levassor dans le XIIIème arrondissement) et vit à Paris.

L’immigration en provenance du Maghreb date quant à elle de la fin du XIXe siècle. Elle s’est nettement renforcée à l’occasion de la Première Guerre puis dans les années 20. À titre indicatif, on compte 85 000 algériens (qui ne sont pas au sens propre des immigrés puisqu’ils ont la nationalité française) en 1936 (dont une grande part de kabyles), auxquels il faut ajouter des marocains. Cette main d’œuvre jeune et masculine est d’abord employée dans les villes et les exploitations agricoles du littoral méditerranéen (la ville de Marseille constituant un point d’ancrage pour la communauté), puis également dans les usines de région parisienne et du Nord.

Ouvriers chinois à Boulogne-Billancourt et Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939 indiquent aussi la réalité et le quotidien de cette immigration que l’on choisit ici presque naturellement de présenter au travail. D’une part, la main d’œuvre est essentiellement masculine, exclusivement même sur les trois clichés. Les cas sont évidemment très disparates, mais on estime que les situations où les immigrés peuvent vivre avec leur famille en France sont encore minoritaires, les femmes étant beaucoup moins embauchés que les hommes, et encore plus rarement en même temps et aux mêmes lieux qu’eux. D’autre part, la population immigrée reste pauvre et employée dans des métiers pénibles et dévalorisés (malgré des différences assez notables visibles sur les images, les ouvriers chinois semblant ainsi plus aisés que les nord-africains). Rythmée par les nombreux allers retours, l’immigration maghrébine constitue en effet souvent un sous prolétariat industriel, urbain et agricole comme le suggère avec éloquence Ouvriers agricoles nord-africains faisant la moisson en France, vers 1939 qui montre des travailleurs vraisemblablement saisonniers très démunis se reposer, harassés par la tâche.

De manière indirecte enfin, Travailleurs immigrés devant le Ministère du Travail. Paris, 1938 souligne un autre aspect de la vie de ces ouvriers en France. Soumis à la fois au bon vouloir de leurs patrons et aux exigences d’une administration de plus en plus restrictive au cours des années 30, ils subissent de plus en plus les contrôles la répression et même les brimades qui se multiplient. On peut ainsi supposer, par exemple, que ces travailleurs se rendent au Ministère du Travail pour obtenir ou renouveler leur carte de travail sans laquelle ils ne peuvent pas rester sur le territoire.

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Alexandre SUMPF, « Les immigrés au travail », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/immigres-travail

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