Les lorettes.
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
H. : 0
L. : 0
Vers 1841.
© Photo RMN - Grand Palais - Bulloz
07-534238
Lorettes
Date de publication : Octobre 2011
Auteur : Didier NOURRISSON
« Je suis coquette
Je suis lorette,
Reine du jour, reine sans feu ni lieu !
Eh bien ! J’espère
Quitter la Terre
En mon hôtel… Peut-être l’hôtel-Dieu… » (chanson).
Les filles légères reçoivent bientôt le surnom de « lorettes ». Car le quartier de Notre-Dame-de-Lorette, entre la gare Saint-Lazare et la butte Montmartre, qui les abrite, est alors en complète construction, et ces dames doivent « essuyer les plâtres », les propriétaires exigeant, en échange de bas loyers, que les appartements soient chauffés et que les fenêtres soient fermées de rideaux.
À cette époque, la prostituée incarne l’antithèse des valeurs bourgeoises triomphantes. Regardée comme immature et proche de l’enfant, elle se trouve dans un état primitif de non-développement, ce qui autorise sa mise sous tutelle. Elle est un symbole d’oisiveté, car adonnée au plaisir, type de l’hédoniste au sein du corps social. Elle est paresseuse. La prostituée est aussi imprévoyante. Elle ne sait pas économiser, elle aime le jeu. Elle ne construit rien. Elle est aussi soumise aux excès sexuels. L’époque de la monarchie de Juillet aime à construire des « physiologies » (l’étudiant, le bourgeois, le dandy, etc.) et à enfermer la société dans cette typologie. La lorette est l’un de ces stéréotypes.
La prostitution est cependant généralement considérée comme un mal nécessaire à la société. Dans les années 1830-1840, la prostituée est même chargée de « déniaiser » les jeunes hommes promis à un mariage victorien.
Le dessinateur des lorettes
Le dessinateur Gavarni a réalisé une vignette représentant une lorette pour l’édition de La Lorette des frères Goncourt chez Dentu en 1855. Pour celle de 1862, il a donné un dessin, gravé par Jules, bien plus évocateur. Auparavant, dans Le Charivari des années 1841, 1842, 1843, il a publié soixante-dix-neuf planches de lorettes. Dans Paris, il publie également « les partageuses » (quarante sujets) et « les lorettes vieillies » (trente sujets). D’autres lorettes apparaissent encore dans les recueils tels Paris le soir (1840) ou Les fourberies de femmes en matière de sentiment (1837, 1840, 1841).
Pour plaire à ses contemporains et participer à ce processus de « typisation » des physiologies, Gavarni donne de ses lorettes une image d’excès en tous genres : excès de sexe d’abord, mais aussi de bavardage, d’alcool, et enfin de tabac. D’où un embonpoint précoce, une attitude pour le moins relâchée et provocante.
Ici la lorette est avachie, allongée sur un canapé. Le jeune bourgeois qui la regarde pointe son cigare dans sa direction. Métaphore de l’organe sexuel en érection, le cigare symbolise sans nul doute l’appartenance à la classe supérieure, plus encore que le haut-de-forme ou la redingote. Un « dandy » comme Nestor Roqueplan, qui a inventé le nom de « lorette », ne saurait se passer de son cigare. La prostituée goûte à cet avancement social temporaire en dégustant elle aussi un cigare, tout en tenant des propos grivois.
Jean-Paul ARON, Misérable et glorieuse, la femme au XIXe siècle, Paris, éditions Complexe, 1984.Julia CSERGO, Liberté, égalité, propreté : la morale de l’hygiène au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1988.Alain CORBIN, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, 1978.Alain CORBIN, Le Temps, le désir et l’horreur. Essai sur le XIXe siècle, Paris, Aubier, 1991.François GASNAULT, Guinguettes et lorettes. Bals publics à Paris au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992.Didier NOURRISSON, Cigarette. Histoire d’une allumeuse, Paris, Payot, 2010.Alexandre PARENT-DUCHÂTELET, La Prostitution à Paris au XIXe siècle, texte annoté et commenté par Alain Corbin, Paris, Le Seuil, 1981, rééd.coll.« Points », 2008.
Didier NOURRISSON, « Lorettes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 25/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/lorettes
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