Aller au contenu principal
Le Cadeau encombrant

Le Cadeau encombrant

Auteur : Sennep

Date de création : Après avril 1942

Dessins de presse. Vichy 1940-1944. 

Dessin inédit.

Domaine : Presse

© Adagp, 2023 © CC0 Collections La contemporaine, Nanterre

Lien vers l'image

SEN 15 (1-109)

  • Le Cadeau encombrant

La politique du pire

Date de publication : Novembre 2023

Auteur : Alexandre SUMPF

Un État collaborationniste

Si Pétain a prétendu faire don de sa personne à la France dans son discours radiophonique du 17 juin 1940, on pourrait dire d’un certain nombre de ministres de Vichy et d’intellectuels parisiens qu’ils ont fait cadeau de leur conscience à l’Allemagne nazie. Plus antisémites et fascistes que patriotes, avides de revanche sur le Front Populaire, ils entendent la collaboration non comme une simple assistance administrative au régime de l’occupant, mais comme un partenariat entre égaux – non reconnu par les Allemands, hélas pour eux. Jean-Jacques Charles Pennès, dit Sennep (1894-1982) s’est distingué dans l’entre-deux-guerres par ses charges virulentes contre la gauche et sa proximité avec l’Action française. Très anticommuniste, il est aussi un ardent patriote. C’est pourquoi, tout en continuant à dessiner pour la presse collaborationniste, comme Candide, Sennep n’adhère ni au maréchalisme ni au régime de Vichy, et encore moins à la politique de Pierre Laval. Pour supporter la censure et l’autocensure, il livre ses états d’âme à des dessins qu’il n’entend pas publier… avant la défaite allemande.

Vichy, je ne boirai pas de ton eau

Sennep n’a pas une grande affection pour Pétain, mais on peut dire qu’il déteste Laval et tout ce qu’il incarne en termes de compromission de l’État et du personnel politique au plus haut degré de responsabilités. Sous l’œil d’un comte Adhémar toujours aussi passif, le président du Conseil remise au placard l’effigie devenue inutile après son retour au pouvoir, le 18 avril 1942. Jouant sur plusieurs registres – la marionnette, la momie – la caricature oppose la rigidité impuissante du vieux maréchal en képi et l’empressement du chef de gouvernement.

Plus violente encore, la charge La Source reprend un dispositif inventé pour moquer Pétain et la profusion de décrets d’un gouvernement qui légifère à la place de la Chambre des députés. Sur le corps de la Nymphe des eaux sculptée par Carrier-Belleuse pour le parc de Vichy, Sennep greffe cette fois la tête de Laval, dotée ici aussi d’une lippe (1) épaisse et d’un nez camus typique des caricatures antisémites. Il fait couler d’une bouteille d’eau de Châteldon (2) une eau de collaboration qui fait froncer le nez de Pétain, vêtu en civil comme un curiste venu prendre les eaux avec sa timbale.

Sennep n’est pas plus tendre avec Abel Bonnard, le ministre de l’Éducation nationale, qui orne d’une belle écriture d’instituteur le mur de la propriété du comte Adhémar et de la comtesse Hermengarde. Croqué en poète mondain plein de parisianisme, il choque par la vulgarité de son message contre les gaullistes. Les graffitis célèbrent aussi la collaboration, le nazisme (svastika), et surtout la Milice, organisation politique et paramilitaire créée par le collaborationniste Joseph Darnand le 30 janvier 1943 sur demande de Hitler à Laval. Son symbole, un gamma stylisé, emblème du Bélier et synonyme de renouveau, apparaît à trois reprises. Les célébrités de ce livre d’or à ciel ouvert – Laval, Darnand, Pétain, Bonnard, Doriot et Bucard – sont collés au mur, donc voués à être fusillés, suggère le dessinateur.

Quelque chose de pourri au royaume Vichy

Devenu germanophile par pacifisme dans les années 1930, Laval a tout fait pour rapprocher la France de Hitler quand il était ministre. Il s’impose logiquement aux côtés de Pétain en juin 1940, jusqu’à ce que son entourage décide de l’écarter en décembre au profit de l’amiral Darlan. Laval se jette alors à corps perdu dans la collaboration, intrigant notamment auprès d’Otto Abetz (3) pour forcer son retour aux affaires – effectif le 18 avril 1942 quand il devient chef du gouvernement. Sennep vomit tout autant Marcel Bucard, l’inventeur de la francisque et organisateur du mouvement franciste en 1933, Jacques Doriot, ancien communiste, créateur en 1936 du Parti populaire français (P.P.F.), principal parti fasciste en France, ou encore Bonnard, incarnation du collaborationnisme intellectuel (et opportuniste). Sa haine se concentre toutefois sur Joseph Darnand, ancien combattant, militant de cette Action française que Sennep connaît bien, qui a oscillé entre Croix-de-Feu du colonel La Rocque et P.P.F. de Doriot. Le patriote ne supporte sans doute pas la prétention de Darnand à instaurer un parti unique national-socialiste en France, son plaisir à porter l’uniforme de la Waffen-SS ou l’impunité de la Milice qui assassine et fait déporter sans répit. Au milieu de ces personnalités au passé politique trouble et hésitant, prêts à déchaîner la violence, le maréchal Pétain mis au placard et démilitarisé, fait pâle figure.

Christian Delporte, Les Crayons de la propagande. Dessinateurs et dessin politique sous l’Occupation, Paris, Éditions du CNRS, 1993.

Pascal Ory, Les Collaborateurs, 1940-1945, Paris, Points Histoire Seuil, 1980.

Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Points Histoire Seuil, 1997.

1- Lippe : lèvre inférieure épaisse et proéminente.

2 - Châteldon : commune à une vingtaine de kilomètres de Vichy. Pierre Laval, natif de la commune, achète le château de Châteldon en 1931. Il y habite de 1940 à 1944, se rendant quotidiennement à Vichy pour y diriger son gouvernement. L'eau pétillante de Châteldon est réputée.

3 - Otto Abetz (1903-1958) : ambassadeur de l'Allemagne nazie en France de 1940 à 1944, il organise la collaboration française avec l'État hitlérien.

Francisque gallique : Cette hache à double tranchant remontant censément aux Gaulois, emblème personnel de Pétain et symbole officieux du régime de Vichy, a été créée fin septembre 1940 par un joailler sur une idée du conseiller personnel de Pétain, Bernard Ménétrel.

L’Action française : Journal fondé en 1908 par Charles Maurras et Léon Daudet. Ce quotidien défend des thèses nationalistes, d'extrême-droite, anti-parlementaires, anti-républicaines et antisémites. Il sera mis à l'index par le pape Pie XI en 1926. Il soutient le régime de Vichy et sera interdit à la Libération en 1944. Les années disponibles sur Gallica, BNF

Candide : Journal qui parait de 1924 à 1944, il est édité par Arthème Fayard. On trouve dans ses pages de nombreuses caricatures et dessins d'humour, voire quelques bandes dessinées. Cet hebdomadaire est d'extrême-droite et antisémite, il soutient le régime de Vichy. S'il inspire Gringoire ou Je suis partout, sa ligne est relativement plus modérée. Les années disponibles sur Gallica, BNF

Alexandre SUMPF, « La politique du pire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 27/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/politique-pire

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La « Relève », entre chantage et otages

La « Relève », entre chantage et otages

Le travail rend libre

Pendant l’été 1942, une série d’affiches s’adresse aux centaines de milliers de chômeurs que compte la France et son…

La « Relève », entre chantage et otages
La « Relève », entre chantage et otages
La collaboration par le travail

La collaboration par le travail

Promouvoir le travail en Allemagne

Depuis 1940, et durant toute la guerre, de nombreux volontaires étrangers choisissent de partir travailler en…

Le Mauvais camp

Le Mauvais camp

Le camp d’en face

Si Léon Trotski, assassiné à Mexico le 21 août 1940, avait pu voir enfin dénoncée la violence stalinienne, chiffres à l’appui,…

Le Mauvais camp
Le Mauvais camp
La Révolution nationale ou le redressement de la « Maison France »

La Révolution nationale ou le redressement de la « Maison France »

Promouvoir la Révolution nationale

La défaite face à l'armée allemande (mai-juin 1940) signe la fin de la IIIe République et la…

Vichy et ses ennemis

Vichy et ses ennemis

L’affiche de propagande.

Très prisée pour la promotion de la Révolution Nationale, l’affiche de propagande connaît une diffusion et une…

Nouvelles du Stalag

Nouvelles du Stalag

Une guerre pas drôle

Quand fleurissent les journaux de Stammlager (camp pour soldats prisonniers de guerre) et d’Offlager (pour les officiers),…

Nouvelles du Stalag
Nouvelles du Stalag
Nouvelles du Stalag
Nouvelles du Stalag
Le Reich contre-attaque

Le Reich contre-attaque

Sur la défensive

Quand les Français découvrent sur les murs de leurs villes Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l’Europe, les plus âgés ont…

Le Reich contre-attaque
Le Reich contre-attaque
Le père de la nation

Le père de la nation

Au service du peuple

À peine le régime de Vichy est-il installé en juillet 1940 qu’une estampe pose l’équation centrale du recours au maréchal…

Le père de la nation
Le père de la nation
Dénoncer la collaboration

Dénoncer la collaboration

L’exposition « Kollaboration ».

Dans la ville de Tunis libérée en mai 1943, les membres de l’organisation Combat (le plus grand des huit…

Dénoncer la collaboration
Dénoncer la collaboration
La collaboration de la police et de la gendarmerie françaises

La collaboration de la police et de la gendarmerie françaises

La police et gendarmerie françaises pendant l’occupation

À la suite de l’armistice du 22 juin 1940 et plus encore après l’entrevue de Montoire…