Aller au contenu principal
Le Faux Hitler

Le Faux Hitler

Date de création : mai-45

Date représentée : mai-45

photographie

© BPK, Berlin, dist. RMN - Grand Palais / Voller Erns / BPK ; © Droits réservés

lien vers l'image

10-535924 / 1329

Le faux Hitler

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alexandre SUMPF

La chute du IIIe Reich en images

La progression des forces Alliées contre les nazis a donné lieu à la production et à la diffusion de très nombreuses images prises par les vainqueurs, ou sous contrôle direct de ces derniers. Sur le front Est, dans le sillage des conquêtes de l’Armée Rouge, les autorités militaires soviétiques organisent ainsi la réalisation de multiples photographies ou films de reportage qui montrent au monde entier leur triomphe et la déroute de l’ennemi.

Et parmi ces épisodes à la portée historique et iconographique extraordinaires, la bataille de Berlin (16 avril-2 mai 1945) fait évidemment figure de morceau de choix, thème d’innombrables représentations de l’entrée et de la victoire de l’Armée Rouge ainsi que de ses conséquences dans l’ancienne capitale du IIIe Reich.

Si les photographes (amateurs ou professionnels, civils ou militaires) de cet épisode se comptent par centaines, rares sont ceux à jouer un rôle aussi important du côté soviétique que Evgueni Khaldei (1917-1997) – auteur du cliché Le faux Hitler, pris dans les premiers jours de mai 1945. Correspondant de guerre membre de l’agence Tass, il a vite acquis une vraie notoriété auprès de ses contemporains pour ses photographies du conflit. La plus fameuse de toutes, qui montre un soldat russe hissant le drapeau rouge de l’Union soviétique sur le toit du Reichstag le 2 mai 1945, est devenue un véritable symbole universel de la chute du IIIe Reich.

Moins marquante, Le faux Hitler constitue néanmoins un motif pour l’étude des enjeux liés à la représentation de la disparition d’Hitler, elle-même élément déterminant du récit d’une défaite allemande enfin pleinement achevée. En effet, les derniers jours d’Hitler demeurent encore une énigme historique, non entièrement résolue. Il est aujourd’hui admis que le Führer s’est suicidé par balles le 30 avril 1945 dans son bunker berlinois souterrain en compagnie de sa femme Eva Braun (qui elle, a choisi le cyanure). Cependant, les circonstances exactes de cet épisode comme l’identification de sa dépouille et le sort qui lui fut réservé ensuite restent plus que controversés, aucun élément de cadavre n’ayant été indubitablement certifié comme celui d’Hitler.

Où est Hitler ?

A première vue, Le faux Hitler est une image assez indéchiffrable. En raison du cadrage, on y voit « seulement » un cadavre vêtu de noir (et déchaussé ?) couché sur une couverture à même le sol, dans l’entrée d’un bâtiment non identifié. On aperçoit aussi les jambes de deux hommes, dont un soldat et un autre habillé en civil qui descend des escaliers situés sur la gauche. Les photographes soviétiques ont saisi des milliers de fois ce type de scène sur le territoire soviétique, au fur et à mesure que l’on découvrait dans les zones libérées les charniers laissés par les nazis depuis 1941. Mais ce corps méconnaissable n’est qu’en partie anonyme.

C’est le commentaire par lequel Evgueni Khaldei accompagne sa photographie qui nous éclaire et nous interpelle. « Devant la chancellerie du Reich. Commentaire du photographe : Une dizaine de faux Hitler étaient amenés tous les jours à la Kommandantur. Tous portaient la même moustache et avaient la même coiffure. Imbéciles – il n’y a rien d’autre à dire! ». On remarque alors effectivement une ressemblance certaine : même coupe de cheveux, même fine moustache, même visage pointu. Les affirmations personnelles du photographe inscrites, selon les versions, au dos du cliché, dans un carnet de bord ou dans un courrier, correspondent à un fait établi : pour sa sécurité, Hitler comptait plusieurs sosies ou hommes lui ressemblant de manière plus ou moins convaincante.

Mystère et propagande

Presque par définition, Le faux Hitler ne permet pas de lever le mystère de la disparition du Führer. Alors même que des restes de dents et de mâchoire apparaissant de manière relativement convaincante comme ceux du dirigeant nazi auraient été recueillis et analysés par les scientifiques soviétiques entre le 5 et le 8 mai 1945, les spéculations sur une fuite d’Hitler continuent de prospérer bien après la fin du conflit, y compris parmi les plus hautes autorités soviétiques, Staline et Joukov par exemple. Du côté allemand et comme le suggère Evgueni Khaldei, il s’agirait de leurrer les Alliés, afin de couvrir une éventuelle émigration secrète du Führer. Sans succès, puisque Staline est ainsi notoirement convaincu que l’annonce de sa mort, et encore plus les différentes images qui la prouveraient, sont « une astuce fasciste », comme l’écrit la Pravda sur son initiative le 2 mai 1945.

Cette image n’est en réalité que l’une des photographies de pseudos Hitler morts qui se multiplient en mai 1945. Pour des raisons assez floues, les Soviétiques produisent ou recueillent en effet des dizaines de clichés de ce type, largement diffusés ensuite. On peut suggérer qu’à certaines occasions, les photographes espéraient vraiment tenir là l’image de la mort du Führer tandis que des médias peu regardants et pressés d’obtenir ce qu’il faut bien appeler un « scoop » planétaire aient été friands de ce genre de clichés.

Mais comme dans la plupart des cas et par exemple dans le commentaire qui accompagne Le faux Hitler, les pseudos Hitler sont immédiatement décrits comme tels : il faudrait donc considérer de telles représentations plutôt comme une manière assez particulière de raconter en images la disparition du régime nazi. Autrefois tout puissant et « unique », le Führer deviendrait un vulgaire objet de série, une sorte de motif photographique presque déshumanisé (au-delà de sa simple mort). Privé de tout prestige et de toute dignité, réduit au même rang que tant d’Allemands qui s’y identifiaient (parfois physiquement), Hitler serait ainsi le synonyme et la cause de la défaite de tout un peuple.

En montrant par ailleurs la disparition (au sens propre comme figuré) d’Hitler, en insistant sur son absence absolue et totale (il ne reste même pas un cadavre sur lequel se recueillir) par la paradoxale multiplication d’une pseudo-présence un peu grotesque, ces photographies signifieraient également la fin et l’anéantissement irrémédiable de l’épisode nazi qu’il personnifiait tant.

EVANS Richard J., Le Troisième Reich (1939-1945), Paris, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », 2009, 3 vol.

FEST Joachim, Les derniers jours de Hitler, Paris, Perrin, 2002.

GROSSET Mark, Khaldeï : un photoreporter en Union soviétique, Paris, Le Chêne, 2004.

KERSHAW Ian, Hitler (1936-1945), Paris, Flammarion, 2001.

KERSHAW Ian, La fin : Allemagne (1944-1945), Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 2012.

NAKHIMOVSKY Alexander, NAKHIMOVSKY Alice, Witness to history: The photographs of Yevgeny Khaldei, New York, Aperture, 1997.

Alexandre SUMPF, « Le faux Hitler », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/faux-hitler

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Alliés, mais pas trop

Alliés, mais pas trop

Tous contre un

Six mois après le Débarquement de Normandie (6 juin 1944) et l’ouverture du « second front » à l’ouest tant réclamée par Staline,…

Alliés, mais pas trop
Alliés, mais pas trop
Le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées en 1944

Le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées en 1944

Montrer le « Paris Libéré ».

À mesure qu’ils libèrent le territoire métropolitain, les Alliés reconquièrent aussi la possibilité de produire les…

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin

Berlin aux mains des Soviétiques

L’avance des Soviétiques s’est accélérée dès le début de 1945, grâce au déclenchement d’une offensive massive…

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
La ligne Maginot

La ligne Maginot

L’alliance franco-britannique au début de la guerre.

Le 3 septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent conjointement la guerre à l’…

La ligne Maginot
La ligne Maginot
Alsace, année zéro

Alsace, année zéro

L’une des images de la « Libération » de l’Alsace.

A partir de 1944, la reconquête et la Libération du territoire français s’accompagnent de la…

La roulette allemande : la « Relève » de 1942

La roulette allemande : la « Relève » de 1942

Rouler sa bosse en Allemagne

Quand les deux affiches commanditées par les Ateliers de Mécanique de la Seine apparaissent sur les murs de Puteaux,…

La roulette allemande : la « Relève » de 1942
La roulette allemande : la « Relève » de 1942
Les artistes sous l’Occupation : Joséphine Baker

Les artistes sous l’Occupation : Joséphine Baker

Joséphine Baker à Paris en 1940

Chanteuse, danseuse et meneuse de revue, Joséphine Baker (1906-1975) connaît un immense succès en France dans les…

Jean Daligault, un artiste détenu

Jean Daligault, un artiste détenu

La Résistance, des armes au dessin

Né à Caen en 1899, Jean Daligault entre dans les ordres en 1917 et est ordonné prêtre en 1924. Également peintre…

Jean Daligault, un artiste détenu
Jean Daligault, un artiste détenu
La captivité de Jean Daligault : les bourreaux

La captivité de Jean Daligault : les bourreaux

De Trèves à Hinzert

Prêtre, dessinateur, peintre et graveur, Jean Daligault s’engage dans la Résistance en 1940, à travers la branche caennaise du…

La captivité de Jean Daligault : les bourreaux
La captivité de Jean Daligault : les bourreaux
Une icône féministe

Une icône féministe

Les femmes dans l’effort de guerre américain

Quand John Howard Miller livre en février 1943 l’affiche commandée par l’entreprise Westinghouse…