Aller au contenu principal
Les Lorettes

Les Lorettes

Date représentée :

H. : 35,2 cm

L. : 26,8 cm

Sous-titre : Bel ange vos cigares sont bons, mais je les trouve durs.

Lithographie.

Domaine : Estampes-Gravures

© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Lien vers l'image

G.6405

Lorettes

Date de publication : Octobre 2011

Auteur : Didier NOURRISSON

Dans les villes qui se développent de manière spectaculaire sous les assauts de la révolution industrielle, la prostitution prend un essor sans précédent. Au point de valoir un retentissant rapport en 1839 d’un des plus célèbres médecins hygiénistes, le docteur Parent-Duchâtelet : De la prostitution dans la ville de Paris sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration. Soumise en maison close, « en carte » c’est-à-dire tolérée mais en liberté surveillée, ou clandestine, occasionnelle ou régulière, la prostituée est partout dans les quartiers populaires. Filles à soldats, pierreuses ou femmes de terrain, serveuses, mais aussi ouvrières d’infortune, elles sont des centaines, des milliers à guetter le client aux barrières de l’octroi, dans les cabarets louches ou… dans la rue. La fille publique symbolise le désordre, l’excès, l’imprévoyance. On ne badine pas alors avec la pauvreté et la misère.
« Je suis coquette
Je suis lorette,
Reine du jour, reine sans feu ni lieu !
Eh bien ! J’espère
Quitter la Terre
En mon hôtel… Peut-être l’hôtel-Dieu… » (chanson).

Les filles légères reçoivent bientôt le surnom de « lorettes ». Car le quartier de Notre-Dame-de-Lorette, entre la gare Saint-Lazare et la butte Montmartre, qui les abrite, est alors en complète construction, et ces dames doivent « essuyer les plâtres », les propriétaires exigeant, en échange de bas loyers, que les appartements soient chauffés et que les fenêtres soient fermées de rideaux.

À cette époque, la prostituée incarne l’antithèse des valeurs bourgeoises triomphantes. Regardée comme immature et proche de l’enfant, elle se trouve dans un état primitif de non-développement, ce qui autorise sa mise sous tutelle. Elle est un symbole d’oisiveté, car adonnée au plaisir, type de l’hédoniste au sein du corps social. Elle est paresseuse. La prostituée est aussi imprévoyante. Elle ne sait pas économiser, elle aime le jeu. Elle ne construit rien. Elle est aussi soumise aux excès sexuels. L’époque de la monarchie de Juillet aime à construire des « physiologies » (l’étudiant, le bourgeois, le dandy, etc.) et à enfermer la société dans cette typologie. La lorette est l’un de ces stéréotypes.

La prostitution est cependant généralement considérée comme un mal nécessaire à la société. Dans les années 1830-1840, la prostituée est même chargée de « déniaiser » les jeunes hommes promis à un mariage victorien.

Le dessinateur des lorettes

Le dessinateur Gavarni a réalisé une vignette représentant une lorette pour l’édition de La Lorette des frères Goncourt chez Dentu en 1855. Pour celle de 1862, il a donné un dessin, gravé par Jules, bien plus évocateur. Auparavant, dans Le Charivari des années 1841, 1842, 1843, il a publié soixante-dix-neuf planches de lorettes. Dans Paris, il publie également « les partageuses » (quarante sujets) et « les lorettes vieillies » (trente sujets). D’autres lorettes apparaissent encore dans les recueils tels Paris le soir (1840) ou Les fourberies de femmes en matière de sentiment (1837, 1840, 1841).

Pour plaire à ses contemporains et participer à ce processus de « typisation » des physiologies, Gavarni donne de ses lorettes une image d’excès en tous genres : excès de sexe d’abord, mais aussi de bavardage, d’alcool, et enfin de tabac. D’où un embonpoint précoce, une attitude pour le moins relâchée et provocante.

Ici la lorette est avachie, allongée sur un canapé. Le jeune bourgeois qui la regarde pointe son cigare dans sa direction. Métaphore de l’organe sexuel en érection, le cigare symbolise sans nul doute l’appartenance à la classe supérieure, plus encore que le haut-de-forme ou la redingote. Un « dandy » comme Nestor Roqueplan, qui a inventé le nom de « lorette », ne saurait se passer de son cigare. La prostituée goûte à cet avancement social temporaire en dégustant elle aussi un cigare, tout en tenant des propos grivois.

Le mot « lorette » entre dans les dictionnaires d’argot du Second Empire et poursuit sa carrière sous la IIIe République (cf. Dictionnaire des dictionnaires, 1889). Les « lolotes » ou « rigolettes » qu’on avait pensé un temps lui substituer feront long feu. La prostitution bien entendu ne faiblira pas. Elle fera davantage peur cependant, car les maladies vénériennes se diffusent du bas vers le haut de la société. Mais malgré ces peurs, le phénomène prostitutionnel, preuve même de sa fonction sociale, s’intensifie sous la IIIe République, s’étendant de la maison close au trottoir. Les partisans de l’abolition et ceux de la réglementation pourront bien s’opposer : la prostitution se maintient.

Jean-Paul ARON, Misérable et glorieuse, la femme au XIXe siècle, Paris, éditions Complexe, 1984.

Julia CSERGO, Liberté, égalité, propreté : la morale de l’hygiène au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1988.

Alain CORBIN, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, 1978.

Alain CORBIN, Le Temps, le désir et l’horreur. Essai sur le XIXe siècle, Paris, Aubier, 1991.

François GASNAULT, Guinguettes et lorettes. Bals publics à Paris au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992.

Didier NOURRISSON, Cigarette. Histoire d’une allumeuse, Paris, Payot, 2010.

Alexandre PARENT-DUCHÂTELET, La Prostitution à Paris au XIXe siècle, texte annoté et commenté par Alain Corbin, Paris, Le Seuil, 1981, rééd.coll. « Points », 2008.

Didier NOURRISSON, « Lorettes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 17/10/2025. URL : https://histoire-image.org/etudes/lorettes

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Alice Milliat, la place des femmes dans le sport

Alice Milliat, la place des femmes dans le sport

L’essor du sport féminin en France

Codifiés en Grande Bretagne au cours du XIXe siècle, les sports modernes sont initialement pratiqués…

Le thème de l’entremetteuse

Le thème de l’entremetteuse

L’influence de la Rome baroque

Pietro Paolini est un peintre italien baroque du XVIIe siècle. Né à Lucques en Toscane, en 1603, il a…

Les Femmes dans la révolution mexicaine

Les Femmes dans la révolution mexicaine

1913, le Mexique s’enfonce dans la violence

Avec le coup d’État du général Huerta et l’assassinat du président Madero, en février 1913, la…

La propagande coloniale dans les années 1930

La propagande coloniale dans les années 1930

1931, l’aboutissement d’un projet grandiose

La tradition des expositions coloniales s’enracine dans la première moitié du XIXe siècle…

La propagande coloniale dans les années 1930
La propagande coloniale dans les années 1930
La propagande coloniale dans les années 1930
Naissance d'une star

Naissance d'une star

Désir et déchéance

En 1929, le producteur allemand Erich Pommer, de la UFA, demande à Josef von Sternberg, cinéaste d’origine autrichienne, de…

La France coloniale et les zoos humains

La France coloniale et les zoos humains

L’attrait pour les zoos humains

En 1906, la France possède le deuxième empire colonial au monde après le Royaume-Uni. Ces conquêtes ont permis de…

Greuze et la peinture morale

Greuze et la peinture morale

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les excès de la société aristocratique et libertine incitent le gouvernement ainsi que…

L'aide américaine en Picardie

L'aide américaine en Picardie

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en Europe, de nombreux volontaires américains traversent l’Atlantique pour venir en aide aux alliés…
L'aide américaine en Picardie
L'aide américaine en Picardie
L'aide américaine en Picardie
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle

Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIXe siècle

Indispensable pour s’échauffer, pour apprendre le bon placement du corps et pour faire travailler correctement les muscles dans les positions qui…

Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
Représentations de la danseuse à la barre à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
La Toilette, un moment d’intimité féminine

La Toilette, un moment d’intimité féminine

La « salle de bain » et sa représentation au XIXe siècle

Au cours du XIXe siècle, l’hygiène devient peu à peu un réel objet…

La Toilette, un moment d’intimité féminine
La Toilette, un moment d’intimité féminine